Chronique de Michel David | Pablo Rodriguez, l’homme de paille

La semaine dernière, quand on a demandé à Pablo Rodriguez si d’autres députés libéraux fédéraux que Fayçal El-Khoury avaient contribué à sa campagne à la chefferie du Parti libéral du Québec (PLQ), il a dit l’ignorer.
Il est vrai qu’un homme ne peut pas tout savoir, mais il est quand même étonnant que le chef libéral soit ignorant de ce qui se passe au sein de son parti au point de devoir mandater un ex-juge en chef de la Cour supérieure pour le découvrir.
Cette fois-ci, il devrait remercier Le Journal de Montréal d’avoir publié la liste de ses ex-collègues à la Chambre des communes, auxquels il faut ajouter divers apparatchiks libéraux, qui ont contribué à sa caisse. Il pourra leur témoigner sa reconnaissance.
Sur les 322 000 $ récoltés par l’équipe Rodriguez, ces dons ne totalisent qu’environ 20 000 $. Cela est relativement peu dans un budget qui était de 70 % supérieur à celui de son principal rival dans la course, Charles Milliard. Si l’on suppose que chaque vote valait un « brownie » de 100 $, cela représentait tout juste 200 votes.
Peu importe, cela fournira un argument de plus aux adversaires du PLQ, qui ne demandent qu’à voir dans l’ancien lieutenant de Justin Trudeau au Québec l’homme de paille d’Ottawa. Déjà, les (rares) positions prises par M. Rodriguez depuis qu’il est devenu chef n’ont rien fait pour démontrer son indépendance d’esprit.
***
Même si le PLQ n’a plus de lien officiel avec le Parti libéral du Canada (PLC) depuis 1964, les libéraux sont demeurés une grande famille. Au départ, les relations étroites qu’entretenait Jean Lesage avec son homologue canadien, Lester B. Pearson, ont d’ailleurs été très avantageuses pour le Québec.
M. Lesage avait justifié la scission entre les deux partis frères par la nature du fédéralisme canadien, qui rendait inévitables les conflits entre Ottawa et les provinces. Mais c’est paradoxalement sous son règne que la collaboration avec le gouvernement fédéral a été la plus fructueuse : création du Régime de rentes du Québec et de la Caisse de dépôt, transfert de points d’impôt, affirmation du Québec sur la scène internationale, etc.
Le rejet de la Charte de Victoria (1971) et ses prétentions à la souveraineté culturelle ont valu à Robert Bourassa l’inimitié de Pierre Elliott Trudeau, mais cela n’a pas empêché d’anciens députés fédéraux de tenter leur chance à Québec (Bryce Mackasey, Jean Marchand) ou, plus souvent, des ex-membres de l’Assemblée nationale de migrer vers Ottawa (Lucienne Robillard, Liza Frulla, Clifford Lincoln, Serge Marcil, etc.)
Encore aujourd’hui, plusieurs membres de la députation libérale à Québec ont déjà porté les couleurs du PLC, comme Marwah Rizqy, ou ont fait leurs classes dans des cabinets fédéraux, comme André Fortin ou Madwa-Nika Cadet.
Ce qui a changé depuis les années Couillard, c’est que le PLQ ne semble plus concevoir le fédéralisme différemment du PLC. Le comité de relance présidé par André Pratte semblait annoncer une réflexion un peu plus autonome, mais l’arrivée de M. Rodriguez y a coupé court.
***
Si tout le monde, y compris les péquistes et les caquistes, loue aujourd’hui le nationalisme de Robert Bourassa, c’est peut-être qu’il a eu la chance de ne pas avoir affronté un référendum pendant qu’il était chef du PLQ.
Soit, il y a eu le « coup de la Brink’s » en 1970, mais la victoire du PQ en 1976 était si imprévue que les libéraux n’avaient pas senti le besoin de se lancer dans une véritable campagne de peur. Durant la campagne référendaire de 1980, M. Bourassa a fait le service minimum, si ce n’est de participer à un débat radiophonique avec son ami Pierre Bourgault. En 1995, il s’est presque contenté d’un rôle de spectateur.
Si l’unité du Canada avait été en péril, il n’y aurait pas eu de place pour ses considérations abstraites sur l’application du modèle belge. Il aurait été condamné à brandir des épouvantails, comme l’ont fait tous les porte-parole du Non. François Legault sera sans doute très heureux, lui aussi, de ne pas avoir à monter au front.
Même si Pablo Rodriguez a fait ses débuts en politique avec Mario Dumont au sein de la Commission-Jeunesse du PLQ, il est clair que sa foi fédéraliste n’a jamais été ébranlée.
Dans d’autres circonstances, il aurait toujours pu essayer de s’enduire d’une couche de vernis nationaliste, même s’il n’a pas l’agilité intellectuelle d’un Bourassa. La perspective d’une victoire péquiste et d’un troisième référendum ne lui en laisse cependant pas le loisir.
Ses anciens collègues d’Ottawa, ou simplement ceux qui l’ont élu chef sur la foi de sondages prometteurs, ont toutes les raisons de s’inquiéter. Il n’était peut-être pas à la hauteur de ce qu’on attendait de lui.
S’il faut le remplacer, il n’y a pas de temps à perdre. Le juge Fournier doit rendre son rapport d’ici le 31 janvier, mais il est difficile d’imaginer comment l’incertitude sur les allégations qui pèsent sur le PLQ et son chef pourrait persister pendant deux longs mois sans causer des dommages irréparables.




