Arlette Cousture: «Jamais je n’avais imaginé que Les filles de Caleb serait un tel succès»

Il y a déjà 40 ans cette année que le roman Les filles de Caleb, d’Arlette Cousture, a vu le jour. Une œuvre incontournable de la littérature québécoise, et qui a aussi bien sûr été adaptée à la télévision. L’occasion était belle pour aller rencontrer la sympathique auteure.
Daniel Daignault
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«Il y a eu le phénomène de l’écriture et celui du livre. L’écriture, pour moi, c’est un souvenir très agréable. Je me souviens quand je me levais le matin, je savais exactement où j’étais rendue, et j’avais hâte de recommencer mon travail. J’espérais juste être capable de finir le livre, parce que c’était mon premier, je n’en avais jamais fait», confie-t-elle.
Malgré ses doutes, l’auteure a fini par aller au bout de son projet, sans savoir vraiment si ce qu’elle avait écrit était bon. Tellement, qu’elle a décidé de faire un focus group auquel participaient notamment ses sœurs. «Ils ont eu dix jours pour lire le manuscrit, puis je les ai reçus chez moi pour qu’ils me disent ce qu’il fallait que j’améliore, ce que je devais enlever. J’ai fait une colère parce qu’ils ont dit: “C’est l’fun de lire un best-seller avant les autres!” J’étais choquée, je leur ai dit qu’ils me créaient des attentes et que j’allais être déçue. Mais finalement, elles avaient raison, dit-elle. Je me souviens encore de mes sœurs, avec papiers et crayons, qui prenaient en note tous les commentaires que les gens faisaient. C’était tellement cute de les voir aller.»
Une seconde carrière
Avant de se mettre à l’écriture, Arlette Cousture œuvrait dans le milieu des communications. «J’étais recherchiste-intervieweur à l’émission Femmes d’aujourd’hui, j’ai travaillé aussi à la salle des nouvelles, et auparavant, j’ai été entre autres professeure d’anglais. J’ai toujours fait des affaires le fun.»
Mme Cousture ne peut pas mettre le doigt sur le moment précis où l’envie d’écrire un roman l’a gagnée. C’est peut-être lors de sa participation au concours des auteurs radiophoniques de Radio-Canada: une compétition qu’elle avait remportée. «Je voulais écrire quelque chose sur ma mère, qui avait été infirmière de brousse, je lui avais posé des questions, et en discutant avec elle, elle m’a appris que mes grands-parents s’étaient séparés quand elle était toute petite – ils s’étaient mariés en 1901 –, et c’est là que l’idée est née d’écrire Les filles de Caleb», raconte-t-elle. Rappelons qu’Arlette Cousture est la fille de Blanche Pronovost, dont les parents étaient, on le sait, Émilie Bordeleau et Ovila Pronovost.
Arlette Cousture raconte avec un grand sourire la rencontre qu’elle avait faite plusieurs années plus tôt, quand elle était dans la vingtaine. «J’étais allée voir une voyante anglophone, et en regardant les cartes, elle m’a dit tout à coup: «Oh my God! I see paper, paper, paper, you’re a writer», ajoutant qu’elle voyait que j’aurais un succès extraordinaire avec un roman. Je l’écoutais et je pensais: «Oh shit! Payer si cher pour une folle de même!», dit-elle en riant.
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Un roman écrit en moins d’un mois
En discutant avec elle, j’ai été pour le moins étonné d’apprendre qu’elle avait écrit son célèbre roman en seulement un mois! «J’ai pris un mois de vacances, à mes frais, pour écrire le livre. J’étais alors conseillère en communications à Hydro-Québec.»
Quand elle a présenté son roman à l’éditeur Jacques Fortin, de Québec/Amérique, il a apporté le manuscrit chez lui, comprenant rapidement qu’il tenait vraiment quelque chose de bon, raconte Arlette, parce que sa femme et sa fille se l’arrachaient pour le lire!
Des pages aux écrans
Les filles de Caleb a été publié en 1985 et a rapidement connu le succès, mais Arlette avoue qu’elle n’a pas eu le sentiment que sa vie allait complètement changer. «Pas du tout, je me disais que c’était facile d’écrire, et que c’était extraordinaire que le livre se vende aussi bien. Pour moi, ça n’avait pas été du travail, je n’avais retiré que du plaisir à écrire cette histoire.» Après ce premier roman, Le Cri de l’oie blanche a été publié l’année suivante, puis en 2003, elle a terminé sa trilogie avec L’Abandon de la mésange. On connaît la suite: l’idée est rapidement née d’adapter ce grand succès pour la télévision.
Cinq ans après la parution de son roman, la série télévisée Les filles de Caleb, réalisée par Jean Beaudin, arrivait sur nos écrans. Plus précisément le 18 octobre 1990. «Je n’ai pas eu droit de regard sur le choix des interprètes, on ne me consultait pas, on m’informait. Mais quand j’ai su que c’est Marina qui allait incarner Émilie, je trouvais que c’était une excellente idée. Je savais qui elle était parce que je l’avais vue dans Lance et compte. Pour moi, c’était du pain béni.»
Quand la série a vu le jour, Mme Cousture dit avoir été renversée. «Je trouvais ça incroyable, et Marina était si jeune et si talentueuse, et Roy, si solitaire, et si… Ovila! C’était extraordinaire et je trouvais ça tellement beau, que je ne pouvais pas imaginer que j’avais imaginé ça.»
Un impact majeur
Non seulement Les filles de Caleb a marqué les Québécois, et aussi quantité de lecteurs en Europe, mais elle a aussi eu un impact majeur pour l’auteure qui, en 1985, était âgée de 37 ans. Sans même y avoir rêvé, avec ce succès, elle pouvait vivre de son art. «Je n’ai pas compris que ça ait un tel succès à l’étranger, lance-t-elle.»
Plus d’un million et demi d’exemplaires du livre ont été vendus au Québec, et tant le roman que la série télé ont entre autres captivé le public français. Curieusement, si la série a été traduite en anglais, le roman, lui, ne l’a jamais été. «Vive le Canada!, ajoute-t-elle avec ironie. Qu’est-ce que c’est que ce pays qui n’est pas capable de te publier quand tu es vendue dans je ne sais plus combien de pays? C’est quasiment honteux, j’ai trouvé ça épouvantable.»
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La retraite?
Mme Cousture, qui est atteinte de la sclérose en plaques depuis environ 35 ans, se contente de dire qu’elle va bien. «Je me sens en perpétuelle retraite, mais je n’ai plus vraiment envie d’écrire. Been there, done that», ajoute-t-elle. Arlette partage sa vie depuis 17 ans avec Michel Corriveau, qui a notamment été l’un des meilleurs agents de promotion dans le milieu du disque québécois durant de nombreuses années.
«Une chose demeure, j’ai toujours eu du plaisir à écrire, je n’ai jamais senti de pression», dit-elle. Et pour ses 77 ans, célébrés en avril dernier, elle s’est fait un cadeau: «Je me suis acheté tous les albums de Tintin», dit-elle avec un grand sourire, en rappelant qu’on a toujours dit que les aventures du héros étaient pour les 7 à 77 ans.




