Coupe d’Afrique des Nations 2025 : colère et frustration après la décision de la FIFA

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Légende image, La Fifa a cédé à la pression de plusieurs clubs européens pour retenir le plus longtemps possible leurs joueurs africains sélectionnés pour la Coupe d’Afrique des Nations 2025. Article Information
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- Author, Ousmane Badiane
- Role, Digital Journalist BBC Afrique
- Reporting from, Dakar
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5 décembre 2025
A moins de trois semaines du coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des Nations, prévue le 21 décembre au Maroc, les sélections africaines font face à un obstacle majeur : elles ne pourront disposer de leurs joueurs évoluant en Europe qu’à partir du 15 décembre, soit seulement six jours avant leur premier match.
La Fifa a cédé à la pression de plusieurs clubs européens pour retenir le plus longtemps possible leurs joueurs africains sélectionnés pour la Coupe d’Afrique des Nations 2025.
Une décision de l’instange mondiale qui suscite frustration et incompréhension sur le continent et qui ravive un sentiment persistant de déconsidération et de manque de respect du football africain.
En effet pour de nombreux acteurs et observateurs du football africain , le message envoyé est clair, la FIFA a privilégié les intérêts économiques et sportifs des clubs particulièrement ceux engagés en Ligue des Champions plutôt que ceux des sélections nationales africaines.
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Alors que les stages et les matchs amicaux constituent la base d’une préparation internationale, les équipes africaines se retrouvent privées de plusieurs jours cruciaux pour peaufiner leur stratégie.
La FIFA, sous la pression de l’Association européenne des clubs (ECA) aurait accepté ce décalage lors d’une réunion secrète le 29 novembre, sans pour autant avertir les fédérations concernées, qui ont été mises devant le fait accompli.
Les fédérations espéraient une mise à disposition des joueurs sélectionnés dès le 8 décembre, conformément au règlement de la FIFA qui prévoit que “les joueurs rejoignent leur sélection au plus tard le lundi de la semaine précédant celle durant laquelle démarre la compétition finale”.
Mais un autre alinéa, souvent moins cité, ouvre la porte à des arrangements : clubs et associations peuvent “convenir d’une période de mise à disposition plus longue ou de modalités différentes”.
Mais une disposition supplémentaire permet aux clubs et aux fédérations de convenir de modalités différentes. C’est sur cette base que l’Association européenne des clubs (ECA) a sollicité la FIFA pour maintenir les joueurs jusqu’au dernier week-end précédant la CAN, notamment pour la 6ᵉ journée de Ligue des Champions.
Ce que la FIFA a accepté, et c’est tout le calendrier des 24 sélections qui s’en trouve profondément bouleversé.
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Légende image, Pour de nombreux techniciens africains, cette décision constitue un frein majeur à la compétitivité des sélections africaines et au spectacle lors de cette CAN 2025 au Maroc.
Des préparations réduites à néant
De nombreux sélectionneurs avaient déjà programmé des stages de préparation ainsi que des matchs amicaux dès le 8 ou 9 décembre, date prévue par le réglement de la FIFA avant la décision
Plusieurs fédérations affirment n’avoir reçu aucune notification officielle avant une circulaire transmise en urgence le 1ᵉʳ décembre en soirée.
Très remonté, Tom Saintfiet, sélectionneur du Mali, dénonce un mépris persistant du football africain.
Interrogé par l’AFP, il ne cache pas son indignation face à la décision de la FIFA qui, selon lui, relève d’un désintérêt structurel.
« C’est catastrophique. En Europe, tout le monde pense que le football africain n’est pas important, c’est un manque de respect, je suis très en colère. »
« Il n’y a aucun respect pour le foot en Afrique, en Asie, en Océanie, dans la Concacaf… Le centre du football pour la FIFA, c’est l’Europe et c’est le seul qui compte. L’argent des clubs en Europe, c’est le seul qui compte », déplore-t-il.
Pour le technicien malien, l’impact sportif est immédiat : impossible de préparer correctement sa sélection avec une arrivée aussi tardive des joueurs.
« On ne peut pas préparer l’équipe, on ne peut pas jouer de matches amicaux. Nous devons annuler ceux que nous avions prévus contre le Botswana et la Tanzanie : je n’ai plus de joueurs », regrette-t-il.
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Légende image, Plusieurs fédérations ont dû annuler ou modifier des stages de préparation, des camps, voire des matchs amicaux à cause de ce calendrier resserré.
La décision réactive un vieux débat : celui de l’influence des grands clubs européens sur le calendrier du football mondial, au détriment des compétitions africaines.
Parmi les voix qui s’élèvent contre la décision de la FIFA, celle de Habib Beye, ancien international sénégalais et entraîneur du Stade Rennais en Ligue 1 Française, résonne particulièrement. Pour lui, la situation actuelle n’a rien de surprenant et s’inscrit dans une longue histoire de décisions prises au détriment du football africain.
« Je ne suis pas surpris de ce qui se passe parce que, en quelque sorte, cette ingérence ou ce côté où on peut impacter cette compétition au dernier moment en pensant que c’est une compétition mineure, ça a déjà existé dans le passé », explique-t-il.
« Comme ancien international, j’ai déjà vécu ce genre de chose où on a l’impression qu’on peut bouger cette CAN quand on veut, la placer où on veut, donner l’organisation à qui on veut. Ça ne se passe pas ainsi dans les autres fédérations ou pour les autres compétitions internationales. »
L’ancien défenseur des Lions du Sénégal rappelle que la date de la CAN était connue depuis longtemps, avant d’être déplacée pour s’adapter au nouveau calendrier de la Coupe du monde des clubs.
« La CAN, tout le monde sait qu’elle a été placée là depuis très longtemps. Elle a été bougée pour la Coupe du monde des clubs, et à partir de ce moment, tout le monde savait. »
En tant qu’entraîneur de club, Beye affirme n’avoir jamais tenté de retenir ses internationaux, y compris lorsque la date du 8 décembre était évoquée comme limite initiale de libération.
« Si on nous avait demandé de libérer nos joueurs le 8, on l’aurait fait. Et on fait partie des clubs qui n’ont mis aucune pression sur aucune fédération pour garder nos joueurs. Aujourd’hui, ils vont rester jusqu’au 15, on est contents de les avoir. Mais si on se place du côté des sélectionneurs et des fédérations, je trouve ça incorrect. »
Figure incontournable du football africain, Claude Le Roy, qui a disputé neuf CAN sur le banc de six sélections différentes, n’a pas mâché ses mots.
Pour celui qui a remporté la CAN 1988 avec le Cameroun, la décision de la FIFA traduit un rapport de force beaucoup plus profond que de simples questions de calendrier. « C’est une honte. Encore une fois, Gianni Infantino fait semblant d’être l’ami de l’Afrique tout en n’ayant pas la moindre parcelle d’estime pour ce continent. », a t-il déclaré à l’AFP.
Pour l’ancien sélectionneur du Sénégal, du Ghana ou encore du Congo, l’affaire dépasse le cadre sportif : « C’est un problème quasiment géopolitique. On n’arrête pas d’entendre de grands discours sur le besoin d’aider le continent africain, mais dans les moments où on pourrait l’aider, on l’agresse, on le torpille, on le ridiculise. »
Le Roy décrit ainsi un système où le football africain reste fragilisé par des décisions unilatérales, souvent prises sans prendre en compte les réalités logistiques, financières et humaines des sélections du continent.
Cette réaction s’ajoute à la longue liste de critiques exprimées ces derniers jours, renforçant l’idée que la CAN n’est toujours pas traitée à la hauteur de son statut et qu’elle est encore loin d’être considérée à égalité avec les autres compétitions internationales.
La réponse de la FIFA
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Légende image, De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la grande influence de la Fifa au sein de la Confédération africaine de football sous le mandat de Patrice Motsepe.
La décision de la FIFA de repousser au 15 décembre la date de libération des joueurs africains est présentée comme l’aboutissement de « consultations fructueuses », la mesure est censée « réduire les répercussions » pour toutes les parties prenantes et encourager clubs et fédérations à dialoguer pour trouver « des solutions individuelles appropriées ».
Selon la FIFA, ce compromis vise à « réduire les répercussions » pour l’ensemble des acteurs concernés clubs, joueurs et fédérations.
L’organisation appelle même à la poursuite d’un dialogue direct :
« Elle encourage les fédérations et les clubs à engager des discussions bilatérales de bonne foi afin de trouver des solutions individuelles appropriées », indique le document.




