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Douze sur douze»: le rappeur Loud, de retour au jeu avec un quatrième album

« Lights, camera, action, je viens reprendre mes parts de marché », fanfaronne Loud sur la chanson Splash, logée tôt dans son quatrième album en carrière, Douze sur douze. Trois ans après Aucune promesse, le musicien sort de sa pause professionnelle avec un album nuancé sur lequel il échantillonne avec brio des chansons d’Ariane Moffatt et de Salomé Leclerc et se demande dans quel état est la scène rap québécoise au moment où il la retrouve.

Dans le monde de la musique pop, c’est long, trois ans de silence. Toutefois, c’est relatif en ce qui concerne Loud puisque, depuis, on a écouté son dernier album, ses collaborations avec Souldia, Lost et Ya Cetidon, puis été témoin de quelques apparitions sur scène, dont celle de l’été dernier, lors du concert du duo Bigflo & Oli sur les plaines d’Abraham, pendant le Festival d’été de Québec.

« Je sais, j’ai pris mon temps ça se peut que j’en paye le prix / Mais j’aurai pas su mettre de montant sur ma paix d’esprit », rappe-t-il dès les premières mesures acoustiques de 1/12, en ouverture. En conversation, Loud est moins dramatique : « Cette pause n’était pas un choix conscient — je ne me suis pas dit : “O.K., je prends un break de deux, trois ans avant de lancer un nouvel album.” Ça s’est fait sans que je m’en aperçoive, et finalement, la pause en était une pour vrai. » Peut-être était-elle nécessaire après l’année de travail investie dans le high de l’Olympia de Paris, où il s’est produit en février 2024, devenant le premier rappeur québécois à fouler la scène de la mythique salle en compagnie d’Imposs, Rymz, Souldia et ses complices des débuts, Lary Kidd et Ajust ? Était-elle nécessaire aussi pour arriver à un effort d’introspection, pour mesurer le chemin parcouru jusqu’au Centre Bell, deux fois de suite, en 2019 — encore une première pour un MC québécois ? « Je ne sais pas », tergiverse Loud, calé dans la chaise du producteur, derrière la console du studio où il conviait les médias. « Je pense que [le temps d’arrêt] a changé quand même ma perspective » sur le métier.

« J’ai l’impression, avec le recul, lorsque je regarde l’album précédent — et même certaines chansons des albums précédents —, d’y reconnaître cette espèce de tension, d’opposition, entre vouloir réussir dans ma carrière et me sauver, partir en exil. Cette pensée m’habitait parce que je vivais dans un tourbillon, incapable d’être en contrôle du timing des événements, parce que, quand ça part, il faut y aller, sans arrêt. Ça m’essoufflait », confie le musicien, qui se décrit comme un « introverti qui fait un métier d’extraverti. Cette contradiction m’habite, je l’entends dans les chansons d’Aucune promesse ».

Vantardise

Loud ajoute que son état d’esprit a « beaucoup changé » ces dernières années. Que les fans se rassurent : Douze sur douze nous ramène le Loud bien en verve, l’habile sniper de punchlines qui font leur effet — « Tranquilo j’ai pas commandé de bambino / Pourquoi on m’envoie des petites pointes ? », raille-t-il dans Game Time sur une rythmique (signée Ajust, Ruffsound et Yonatan « xSDTRK » Ayal) qu’aurait aimé le Jay-Z de la fin des années 1990, « à la Just Blaze, Kanye West, Jake One, très mixtape de New York de ces années-là », confirme Loud.

Le MC sait toujours faire comme les meilleurs rappeurs d’ici et d’ailleurs, c’est-à-dire vanter ses réalisations sur un ton bien baveux. « Le bragging, ça me parle encore, concède Loud. Ça me stimule, je sais pas comment le dire autrement. J’aime entendre ça dans les textes des autres rappeurs, mais je suis conscient que ça peut saouler le monde — pas nécessairement de parler d’argent, juste la vantardise en général. Ce n’est pas un trait de caractère très québécois, la vantardise, mais c’est très rap », dit-il en se rappelant les fois où Jay-Z rappait qu’il s’était acheté des œuvres de Jean-Michel Basquiat.

Ce sont toutefois les chansons plus sérieuses qui attirent l’attention sur ce nouvel album. 1/12 en intro. La salve pop Signe (avec la voix du jeune chanteur Statzz), dont Loud aime spécialement le texte « précis et nuancé ». Le duo avec Connaisseur Ticaso, Une chose à la fois, sur une rythmique d’une autre époque. Par hasard, qui échantillonne Hasard, chanson d’Aquanaute (2002), premier album d’Ariane Moffatt. Et le texte, franchement bien tourné, de la chanson d’amour Entre nous, celle-là articulée autour d’un sample de Ton équilibre, tirée de l’album Les choses extérieures (2018) de Salomé Leclerc.

« C’est Ajust qui était obsédé par cette chanson, raconte Loud. J’adore Salomé, mais c’est son idée d’échantillonner celle-là, ça faisait des années qu’il l’avait derrière la tête. On a monté la toune sans savoir si Salomé allait nous donner son accord. On y croyait : il y a une énergie dans cette boucle qu’on utilise, la performance de Salomé, son jeu de guitare, tout ça m’a inspiré à écrire sur un truc plus personnel et a guidé mon interprétation, limite sur le slam. J’ai abordé cette chanson comme une conversation plus qu’un rap. »

« Je pense que ça me ressemble beaucoup, ces ambiances-là, croit Loud. Mais le revers de ces chansons douces, les plus énergiques, me vient aussi naturellement, surtout après avoir travaillé sur un morceau plus doux — à un moment, je me lasse, il faut que ça lève. J’aime cet équilibre, j’aime qu’il y ait des mouvements, des vagues, dans l’album, j’aime ne pas être tout le temps dans le sérieux ou bien dans l’excès. »

La game

« J’ai jamais lack a day depuis que je suis sortie de l’académie / Dix ans que je vis de mes rêves de jeunesse, sleeping like a baby / Je suis dans ma tour, prépare mon retour à la Machiavelli / Est-ce que la game est rendue plate ou c’est juste moi qui a vieilli ? », lance le rappeur de 37 ans dans le premier couplet de Splash. Dans le monde du rap, trois ans, c’est long, mais Loud constate aussi « qu’il n’y a pas un énorme changement sur la scène québécoise depuis mon précédent album ». Hormis l’émergence d’un Fredz, l’assurance d’une Sarahmée et la révélation d’un Kinji00, les forces en puissance de notre scène demeurent à peu près inchangées.

Donc, est-ce que la game est rendue plate ? « Je le dis avec un sourire en coin en jetant un œil sur la compétition, nuance Lound, mais en fait, je n’ai pas la réponse à la question. Ai-je manqué quelque chose durant mon absence ? Je sens, cela dit, venir une nouvelle vague. Et puis, la business a changé aussi. Je ne sais pas si c’est encore possible de voir arriver d’énormes nouveaux projets comme je l’ai vécu, comme Souldia l’a vécu, Koriass et d’autres encore avant. Ce n’est pas si évident, ces temps-ci. »

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