«T’étais où Serge?»: Serge Thériault en ses mots

Une heure avec Serge Thériault ? Pourquoi pas. L’acteur a été à ce point majeur au Québec que, curieux, on tend volontiers l’oreille. Et force est d’admettre qu’il est difficile de ne pas être touché par ce bijou d’humanité qu’est ce documentaire intitulé T’étais où Serge ?.
Sans jamais être voyeur, T’étais où Serge ? s’attache au parcours personnel et professionnel du comédien avec sa pleine collaboration. Au micro, la vedette de Gaz bar blues se raconte et s’explique. C’est un documentaire pour la télé, là où Thériault a régné avec son alter ego Claude Meunier, mais on ne verra pas ici Serge Thériault. Enfin, presque pas. La réalisatrice Catherine Proulx a fait le choix d’une captation uniquement audio. Il y a tout de même quelques images originales où l’homme de 76 ans apparaît devant la caméra, avec une grande barbe blanche et des cheveux à l’avenant.
« On a trouvé que le média le plus simple, ce serait l’audio seulement », affirme la productrice Nadia Ruel. « C’est nous qui lui avons proposé cela. Ça lui permet d’oublier notre présence », indique pour sa part la réalisatrice Catherine Proulx. « C’était clair entre nous, dès le départ, qu’il n’y aurait pas d’entrevue à la caméra. Parce que ce n’est pas très long que, devant la caméra, Serge sent le besoin de performer. » Et comme il se fatigue vite…
Au son de ses mots défilent des images d’archives. Toute sa vie professionnelle défile, entrecoupée d’entrevues avec Marc Messier, Claude Meunier, Guylaine Tremblay, Michel Rivard et Louis Bélanger. Par petites touches, Serge Thériault s’expose. Il parle de lui. De sa mère. De sa famille. De sa carrière. De ses misères. La voix semble fragile, un peu brisée.
« Un bilan »
C’est Serge Thériault qui a manifesté le désir de se livrer de la sorte. S’agit-il d’une sorte de testament ? Non, plutôt d’un bilan, explique la réalisatrice Catherine Proulx.
Serge Thériault découvre la scène à 16 ans alors qu’il est encore à l’école. C’est un coup de foudre : il est emporté, subjugué. « Le métier de comédien vient du besoin de s’évader, de sortir de son corps — parce qu’être soi, parfois, c’est pénible », dit-il. À chaque rôle, le bonheur est pour lui d’en apprendre un peu plus sur qui l’on est. « Le but de tout comédien, c’est d’abord de s’oublier soi-même », répète-t-il. L’idée l’aide à vivre. Et en même temps, elle l’épuise.
Thériault parle de son enfance sur le Plateau-Mont-Royal. Il est question, beaucoup, de sa mère qui souffre, comme lui, des effets de la bipolarité. Il en parle, les larmes dans la voix. Sa mère disparaissait plusieurs jours, puis, lorsqu’elle réapparaissait, elle pouvait l’engueuler sans ménagement. Son père ne savait pas quoi faire… Le petit non plus. Il en gardera de grandes séquelles.
Pour la première fois, ce documentaire présente des extraits de Jardin secret, une émission qui n’avait jamais été diffusée à ce jour. On y voit Serge Thériault chanter, guitare à la main, la boule dans la gorge. Il chante son histoire familiale, son enfance. À la caméra, il passe bien près de craquer. Et nous aussi, en l’entendant.
Au début des années 1970, il participe à l’aventure déjantée de la troupe La Quenouille bleue. Il part en tournée. Michel Rivard fait partie de cette bande d’artistes multidisciplinaires. À l’époque, Thériault est déjà malade, dit-il, mais il ne le sait pas. Il se recroqueville dans son coin en attendant que tout passe. Une bipolarité non diagnostiquée à laquelle il apprend à s’adapter comme il peut. Il sera longtemps à ignorer le mal dont il souffre. « J’ai toujours envie de dormir. Je n’ai pas envie d’être avec tout le monde. Je restais dans l’ombre le temps que ça passe. » Puis, ce sera les spectacles absurdes de Paul et Paul.
Des maux
Le sujet de la maladie n’a pas été difficile à aborder avec lui, affirme la réalisatrice Catherine Proulx. « Je ne l’avais jamais rencontré de ma vie. J’étais très ouverte sur ce que je venais chercher. » Et c’est lui, tout de suite, qui en a parlé.
T’étais où Serge ? repose sur deux rencontres avec l’artiste. Une troisième visite a permis qu’on croque quelques images de lui à la sauvette. Le reste tient pour beaucoup à de riches documents d’archives.
Sur Serge Thériault pèse aussi le poids de la drogue. Un problème qui s’ajoutait à un autre. « Je commençais à être erratique sur le plan du travail. […] Ce ne sont pas des parties de ma vie dont je suis fier. Non seulement déprimé, mais coké en plus ! Franchement ! »
Tout le monde l’a vu au cinéma et à la télévision. Lui ne souhaite guère voir personne. « Des fois, dans La petite vie, on avait 4 millions de téléspectateurs. » Prince de l’absurde, il est marqué jusqu’aux os par ce rôle.
Quel est le rôle dont il est le plus fier ? Il parle de Gaz bar blues, le film de Louis Bélanger, mais surtout du personnage de Bernie Lacasse, qu’il interprète dans le téléroman Jamais deux sans toi. « C’était l’une des premières fois qu’on avait un homosexuel qui n’était pas trop efféminé » présenté à la télévision, explique Serge Thériault. « Je suis très fier de ça. C’est l’un des beaux rôles à la télévision. »
Comme pour s’excuser, Thériault dit que d’autres artistes que lui s’effacent aussi avec la vieillesse. Il ajoute ne pas aimer parler de lui trop longtemps. Reste qu’à ses côtés, on trouve que c’est une heure qui passe bien vite.




