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Renouer avec Serge Thériault

Puis, l’homme est réapparu dans le documentaire Dehors Serge dehors et pour une brève apparition dans la renaissance de La petite vie.

S’il était resté loin des projecteurs pendant si longtemps, c’est qu’il souffrait de dépression et de bipolarité, un mal qui l’empêchait même de sortir de chez lui.

C’est Serge Thériault lui-même qui a exprimé le désir de se livrer dans un documentaire, après le retour de La petite vie en 2023. Ça donne une œuvre très touchante d’une heure qui nous permet de renouer avec ce comédien au grand talent.

T’étais où Serge? sera offert sur l’Extra d’ICI Tou.tv à partir du vendredi 12 décembre et diffusé le samedi 14 mars prochain à 20 h sur ICI Télé.

Au départ, Paul Arcand devait mener une entrevue classique à la caméra. Serge Thériault se sentait en confiance avec l’ex-roi des ondes. C’était avant qu’il entre dans une période plus sombre, de sorte qu’on a retardé la rencontre.

Plusieurs mois plus tard, la production a changé son approche, préférant plutôt ne faire qu’un enregistrement audio de la rencontre, afin de protéger l’acteur et lui tirer des confidences dans un cadre plus détendu, sans pression.

La réalisatrice et scénariste Catherine Proulx a alors mené l’entrevue, qui s’est déroulée en deux parties chez lui au printemps dernier.

«Si ce n’était pas de la maladie, je continuerais à jouer», admet d’emblée l’interprète de Moman, qui a aujourd’hui 76 ans.


La bande-annonce de «T’étais où Serge?»
(Radio-Canada)

Pour mettre un visage sur ces nouveaux propos de l’acteur, on a pris quelques images de lui. Ses propos accompagnent le documentaire d’une heure, lui donnant un caractère très intimiste mais surtout pas voyeur.

Dans une entrevue jamais diffusée, qu’il avait accordée en 2000 pour le pilote d’une émission qui n’a pas vu le jour, il avouait que la scène le préservait des idées noires.

«Le métier de comédien vient du besoin de s’évader, de sortir de son corps, de ne plus être soi, parce que soi est souvent trop pénible.»

—  Serge Thériault

«Tout le monde aimait Serge Thériault», affirme le réalisateur Louis Bélanger, le dernier à l’avoir dirigé au grand écran dans Gaz Bar Blues, un grand film qui lui a valu le Jutra du meilleur acteur et que j’ai très envie de revoir.

Le cinéaste regrette que l’acteur n’ait pu faire profiter le public de son talent immense par la suite.

S’il connaît de bonnes périodes, Serge Thériault vit encore des passes plus difficiles. Quand les productrices ont voulu lui montrer le fruit de leur travail la semaine dernière, il a préféré reporter le rendez-vous à plus tard. Ce n’était pas le bon moment.

Plusieurs de ses collègues racontent qu’ils connaissaient sa condition, ses périodes plus sombres. Dès La quenouille bleue, ce collectif d’humour absurde dont faisait partie entre autres Michel Rivard au début des années 70, Serge Thériault montrait des symptômes de bipolarité.

Certains jours, il préférait rester seul et ne parler à personne. Ses collègues comprenaient alors qu’il fallait lui laisser sa quiétude. C’était non dit mais implicite.

Ce côté de lui l’a suivi durant toute sa carrière. Guylaine Tremblay (Caro dans La petite vie) raconte avoir compris un jour qu’il donnait tout quand la caméra s’allumait, sans que rien n’y paraisse, mais qu’elle voyait la tristesse dans ses yeux dès qu’il regagnait les coulisses.

Serge Thériault parle de bipolarité, qu’on n’identifiait pas comme tel à l’époque, mais qui affligeait aussi sa mère. Comme lui plus tard, elle s’enfermait sans vouloir voir personne, pouvait ne plus se laver pendant des jours.

Difficile à comprendre pour un enfant de sept ans. Quand Serge Thériault a créé le personnage de Moman, il a voulu en faire l’image contraire de ce qu’il avait connu avec sa mère.

Toujours très attachant et plein d’humour, Serge Thériault s’ouvre franchement sur plusieurs sujets tabous, comme ses problèmes de consommation de cocaïne, qui l’ont mené en désintoxication.

Il revient notamment sur la seule fois où il n’a pu se présenter à un tournage de La petite vie, dont on a dû remanier un épisode sans Moman. Les producteurs lui ont alors suggéré d’aller en cure.

Il raconte aussi un épisode très dur de son enfance, alors que son père l’avait amené près du fleuve, possiblement dans l’idée de l’emmener dans la mort avec lui.

Mais ce documentaire ne porte pas uniquement sur sa maladie, mais beaucoup sur sa carrière, très foisonnante à une certaine époque, que ce soit avec Paul et Paul, puis Ding et Dong.

Parmi ses plus beaux rôles figure Bernie dans Jamais deux sans toi, un des premiers personnages gais qui s’éloignait des stéréotypes. On le revoit aussi criant de vérité dans une scène de la série Le négociateur.

Claude Meunier confie que s’il ne l’avait pas connu, il n’y aurait jamais eu La petite vie.

«C’est lui qui m’a appris à jouer», affirme Meunier, qui ignore s’il aurait continué dans ce métier, n’eut été de la présence de Thériault dans sa vie.

Si la bipolarité se traite assez bien avec de la médication, la réalisatrice n’a pas souhaité aborder la question avec l’acteur, lui laissant son jardin secret.

Serge Thériault n’exprime pas le désir de revenir au jeu. «Je suis très bien dans ma solitude», dit-il.

L’acteur est certainement le seul à ne pas saisir l’importance qu’il a eu dans notre paysage culturel. T’étais où Serge? représente donc pour nous un moment rare et privilégié de profiter de son talent et de sa vision du métier.

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