1953-2025 | Le photographe Jacques Nadeau s’éteint

Le photographe Jacques Nadeau, associé au quotidien montréalais Le Devoir pendant près de 35 ans, est mort des suites d’un cancer, rapporte le quotidien. Il aura marqué le photojournalisme par la qualité et l’originalité de ses clichés, qu’il aimait croquer dans le feu de l’action.
Publié à
14 h 05
Le Devoir a confirmé sa mort en mi-journée, mercredi.
Ses photographies de l’actualité politique ont laissé une véritable empreinte dans le paysage médiatique québécois. Elles sont d’abord publiées par La Presse Canadienne, où Jacques Nadeau s’est illustré pendant une dizaine d’années avant d’être embauché par Le Devoir en 1990.
Au fil de sa carrière, il a collaboré entre autres avec le Globe and Mail, le Toronto Star et même le New York Times.
PHOTO JACQUES NADEAU, TIRÉE DU SITE DE LA FONDATION RENÉ-LÉVESQUE
En tournée dans la circonscription de Jean-Talon lors des élections partielles de 1979, René Lévesque prend plaisir à jouer au billard sous les yeux amusés de la candidate du PQ Louise Beaudoin et de son mari François Dorlot.
Ceux qui l’ont vu à l’œuvre peuvent en témoigner : Jacques Nadeau était toujours en mouvement, tournoyant autour de son sujet, à la recherche du meilleur angle, de la meilleure prise. Il n’hésitait pas non plus à jouer du coude ou à se faufiler devant les caméramans pour avoir la meilleure photo.
Au fil de sa carrière, Jacques Nadeau aura photographié l’ensemble de la classe politique québécoise – on pense entre autres à sa photo de René Lévesque jouant au billard, cigarette au bec –, mais il excelle lors des grandes manifestations, notamment lors de la grève étudiante de 2012, qui mènera à la publication du livre Carré rouge.
Sur la scène internationale, son point de vue est unique. Il couvre la guerre civile au Sri Lanka, les manifestations d’Alger, le conflit israélo-arabe ou encore la situation politique en Haïti. Pour la section culturelle, il photographie les grandes stars du rock et du jazz. De Mick Jagger à David Bowie en passant par Leonard Cohen ou Elvin Jones.
PHOTO JACQUES NADEAU, ARCHIVES LE DEVOIR
Portrait du batteur Elvin Jones lors de son passage au Festival international de jazz de Montréal à l’été 1990
Notre collègue photographe Martin Tremblay l’a bien connu. Il a fait un stage avec lui, avant d’être « pris sous son aile ».
« Il était le modèle à suivre pour tous les jeunes photographes, nous dit-il. Parce que pendant plusieurs années, ses photos faisaient toujours la une. Elles ne laissaient jamais indifférent parce qu’il y avait toujours de l’émotion. C’était des images qui résonnent et qui dérangent. Qui reflétaient l’état d’esprit des gens qu’il photographiait. Leur humeur. »
Dans le livre Devenir journaliste, Martin Tremblay raconte une anecdote où l’ancien chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Thomas Mulcair confie que Jacques Nadeau est « le seul photographe capable de faire un éditorial en image ». « Il avait ce talent, nous dit Martin. Il avait un flair pour la nouvelle, pour ce qui allait être la manchette du lendemain. »
Un vol épique
En 2015, son appartement d’Outremont est cambriolé et il se fait voler quelque 100 000 photographies enregistrées sur cinq disques durs. Une collection imposante qui comprenait entre autres huit campagnes électorales, les deux référendums ainsi que la majorité de ses reportages à l’étranger. « C’est tout mon travail depuis 1977 », confiera-t-il.
PHOTO JACQUES NADEAU, ARCHIVES LE DEVOIR
L’attachée de presse de Lucien Bouchard, Christiane Miville-Deschênes, réagit à l’annonce de la démission de celui-ci de son poste de premier ministre du Québec, le 12 janvier 2001.
Au fil des mois qui suivent, il parvient à retrouver le tiers de ces photographies, dans des clés USB ou de vieux négatifs. Il publiera un ouvrage intitulé Photos retrouvées avec 320 d’entre elles.
Au moment de prendre sa retraite, en 2023, il accorde une longue entrevue à Jean Bourbeau, du magazine Urbania, où il dira : « Mon existence entière a été dédiée à avoir LA shot. J’ai jamais été capable de décrocher. Je pense pas être encore prêt à la petite vie tranquille. »
Le journaliste d’enquête de La Presse Ulysse Bergeron a travaillé avec lui à partir de 2020, soit quelques années avant qu’il ne prenne sa retraite. Mais selon lui, même à 70 ans, il était toujours aussi allumé. « J’adorais travailler avec lui, nous dit-il. Jusqu’à la fin de son parcours au Devoir, il valorisait le terrain. C’était dans son ADN. S’il fallait se présenter quelque part un dimanche à 5 h du matin, il était là. Avec lui, on avait envie de se dépasser comme journaliste. »
Natif de Québec
Jacques Nadeau, qui a grandi dans une famille modeste de Limoilou, à Québec, parvient à entrer à l’École supérieure en art et technologie des médias (ATM) de Jonquière malgré le fait qu’il n’a pas de diplôme secondaire.
Avant la fin de ses études, il se rend à San Francisco où il fait ses premiers pas en photographie. À Jean Bourbeau, il explique : « Je me levais à 5 h du matin pour avoir la meilleure lumière, jusqu’à ce que je réalise que la photo, c’est surtout les humains qui l’habitent. »
C’est à La Presse Canadienne qu’il apprend véritablement son métier et qu’il se distingue, enchaînant les semaines de 100 heures, selon ce qu’il confie au journaliste d’Urbania.
PHOTO JACQUES NADEAU, ARCHIVES LE DEVOIR
Deux policiers s’invectivent sous le regard du public lors d’une manifestation du Printemps érable à Montréal, le 20 mai 2012. Cette photo a reçu le prix Antoine-Desilets en 2012 dans la catégorie « Nouvelle ».
« La photo était ma seule raison d’être. Je n’ai pas eu de copine pendant 10 ans. C’était l’fun en crisse d’être en compétition avec les meilleurs photographes canadiens. […] Ma job était simple : avoir la shot. Ma carrière a carburé à l’obsession et à la passion. Il faut un peu d’obsession pour traverser l’obscurité et se dire : je rentre là. Et de la passion pour puiser l’inspiration nécessaire. »
Jacques Nadeau, qui a enseigné le photojournalisme pendant 15 ans à l’Université de Montréal, publie un troisième ouvrage, Vénérables, à l’automne 2024. Ce livre fait le portrait en photos, mais également à travers certaines anecdotes, de 80 personnalités québécoises d’âge vénérable. La regrettée Kim Yaroshevskaya illustrait la couverture.




