Recommandations sur les buttes de neige | Génération anxiété

Il paraît que les buttes de neige pour jouer au roi de la montagne dans les cours d’école devront être recouvertes d’un casque.
Publié hier à
6 h 00
J’ai mal compris ?
Pardon, ce sont les élèves qui devront porter un casque. Mais seulement si la butte scolaire ne respecte pas les normes : 25 % de pente maximum ; registre d’utilisation ; pas plus de 3 mètres de haut ; zone d’attente – pour pas que ce soit le bordel, comme sur l’Everest…
Ce n’est pas un « règlement », mais une simple recommandation d’un groupement d’assureurs scolaires1.
On en a beaucoup ri un peu partout. Avec raison. Quand l’obsession de la sécurité vient tout « normer » jusqu’à l’angle des flocons de neige, on touche à l’absurde.
Appliquées à la lettre, ces consignes viennent tuer le fun. Beaucoup plus sournoisement, et plus gravement, elles empêchent les enfants d’apprendre à se faire mal et à ne pas se faire mal.
Un peu comme dans le sport on doit apprendre à perdre, on doit aussi apprendre à rouler, à sauter, à grimper… mais aussi à se cogner, s’érafler, s’égratigner, se pousser, avoir peur. Bref, apprendre à se protéger soi-même, vu que la compagnie d’assurance et le directeur d’école ne seront pas toujours là.
Tout le monde a l’air bien d’accord pour décrier ces normes de buttes de neige. C’est l’évidence. Elles ne sont pourtant que la manifestation ridicule de notre propre courant de fond hypersécuritaire qui développe l’aversion au risque chez les parents et l’anxiété un peu partout.
Non, je ne suis pas nostalgique du « bon vieux temps » des années 1970, époque où régnait le « ski bottine ». L’activité consistait à s’accrocher à un pare-chocs derrière une voiture les jours où il y avait suffisamment de sloche dans la rue, et à skier le plus loin possible, c’est-à-dire jusqu’à ce que le conducteur s’en rende compte ou qu’un nid de poule arrête votre course à vos risques et périls.
(Non, maman, j’ai pas fait ça.)
Je ne suis pas nostalgique du temps où je voyais les adultes une bière entre les jambes au volant de leur char. Ou d’avant les ceintures de sécurité. Mon père avait pris comme une atteinte à sa liberté fondamentale de grouiller au volant l’obligation de la boucler.
Je me souviens pourtant des 12, 15 morts sur les routes chaque fin de semaine. C’est incroyable qu’il ait fallu à peu près trois quarts de siècle aux êtres humains pour réaliser que ces engins appelés automobiles sont extrêmement mortels. On déplorait les morts, mais on ne faisait pas trop le lien avec l’alcool et la sécurité des véhicules.
Quand j’avais 8 ou 9 ans, j’avais emprunté un livre à la bibliothèque de l’école décrivant ce que serait l’an 2000. On y montrait un prototype de voiture avec un gros ballon qui se gonflait en cas d’accident. Imagine ! Tu fonces dans une voiture, et bong ! Tu rebondis là-dessus, tu ne te fais même pas mal ! C’était de l’anticipation technologique très sophistiquée…
Je ne m’ennuie pas des cigarettes fumées dans la voiture, « mais je vais baisser la vitre si tu veux ». Ou de celles des voisins de bureau.
En plus, je porte un casque à vélo. Moumoune, vous dites ?
Tout cela pour vous dire que pour moi, ce n’était pas « mieux avant ».
Mais les progrès de la « conscience sécuritaire » ont fini par nous faire croire, ou nous faire espérer, qu’on peut vivre sans risque.
Si l’on contrôle suffisamment tous les paramètres, la hauteur des buttes, les limites de vitesse, les tests médicaux, les recommandations de Santé Canada, du Guide alimentaire et des nutritionnistes, rien, absolument rien ne pourra nous arriver. Un des buts de l’existence n’est-il pas de vivre le plus longtemps possible dans du papier bulle sans que rien, absolument rien n’arrive ?
Ma génération de parents et celle qui a suivi, comme par hasard, ont aussi engendré un cortège de jeunes gens anxieux en quantité record en temps de paix et de prospérité économique.
C’est la génération anxiété. On la leur a enseignée, inculquée.
Insensiblement, avec les meilleures intentions du monde, les parents, les institutions, les tribunaux, « la société » bref, envoient le message aux enfants : ce monde est dangereux.
C’est vrai qu’il l’est.
Mais pas au point de ne pas pouvoir marcher sept rues pour se rendre à l’école. Pas au point de devoir fermer la cour pour éviter qu’un élève s’ouvre le menton en courant après l’école. Pas au point de mesurer l’angle d’une butte de neige.
Ensuite ils seront traqués sur GPS 24/7, filmés par les caméras de surveillance du voisin, sommés de répondre de leurs gestes, absences, allées et venues…
Pour leur plus grand bien, je sais, je suis comme vous. Je nous regarde aller et je nous trouve parfois cinglés.
C’est pourtant très important dans la vie de monter sur une butte et d’avoir la chienne parce qu’on la trouve trop haute ou trop à pic ou trop glacée.
C’est important aussi de mal évaluer la glisse et d’en manger toute une. D’apprendre à mieux évaluer soi-même les risques. Et de les courir.
D’avoir envie de les courir !
1. Lisez l’article « Tempête autour des buttes de neige »




