Exportation d’électricité vers les États-Unis | Hydro-Québec paiera 1 milliard de plus que prévu

La facture pour exporter l’électricité du Québec aux États-Unis bondit. Hydro-Québec devra payer 1 milliard de plus que prévu pour acheminer son énergie au sud de nos frontières, une hausse de 50 % comparativement au budget initial, a constaté La Presse. Les dépassements de coûts de grands chantiers de la société d’État laissent présager une transition énergétique plus onéreuse qu’on l’anticipait, selon des experts.
Publié à 5 h 00
Pour respecter deux importants contrats d’approvisionnement signés avec les États-Unis, Hydro-Québec a lancé plusieurs chantiers dans les dernières années. Ces projets permettront à la société d’État d’exporter annuellement 20 térawattheures (TWh) d’électricité propre vers la ville de New York et la Nouvelle-Angleterre.
Or, la facture se révèle beaucoup plus salée que prévu, a constaté La Presse. Les coûts de construction des postes Hertel et des Appalaches – nécessaires pour exporter vers les États-Unis – ainsi que des lignes de transport d’électricité devraient atteindre 2,9 milliards, selon les prévisions d’Hydro-Québec déposées à la Régie de l’énergie (REQ).
Il s’agit là d’un dépassement anticipé de 934 millions par rapport au budget de 1,9 milliard initialement autorisé par la REQ.
Qu’est-ce qui explique cette hausse de 50 % ? Le prix des convertisseurs a presque doublé en quatre ans, passant d’environ 250 millions pour atteindre autour de 500 millions. Le prix de l’acier de ligne pour les pylônes a pour sa part grimpé de 48 %, celui des transformateurs de grande puissance, de 68 %, et celui des câbles haute tension, de 78 %.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Des ouvriers travaillant à la construction de la ligne d’interconnexion Appalaches-Maine à l’été 2024
« Il y a eu une augmentation notable en lien avec ce type de matériel dans les dernières années, à l’échelle mondiale », dit Mathieu Bolullo, directeur principal des projets de transport chez Hydro-Québec.
À cela s’ajoutent les retards découlant du référendum tenu dans le Maine sur le projet et la hausse du prix des câbles sous-marins nécessaires à l’interconnexion vers New York, qui passent sous le lac Champlain. Leur coût a considérablement augmenté à cause de la forte demande pour des projets éoliens en mer.
Hausse moyenne de 15 %
Ces deux chantiers ne sont pas les seuls pour lesquels Hydro-Québec anticipe des dépassements. Pour construire le poste des Irlandais, à Montréal, et pour rénover celui de Duvernay, à Laval, la facture sera respectivement 73 % et 95 % plus salée que prévu, selon les estimations d’Hydro-Québec.
Des 30 projets que chapeaute actuellement la division Transport d’Hydro-Québec, 16 coûteront plus que prévu, avec un dépassement moyen de 15 % pour chaque chantier. « Depuis la pandémie, le coût des matériaux et de la main-d’œuvre a considérablement augmenté », explique Mathieu Bolullo.
Les grands projets énergétiques aux quatre coins du monde doivent jongler avec cette réalité, ajoute M. Bolullo, assurant qu’Hydro-Québec aurait plutôt bien tiré son épingle du jeu.
N’empêche, les estimations des projets par la société d’État font réagir. Dans une récente décision, la Régie de l’énergie s’est montrée inquiète d’une hausse de 144 % des estimations pour un nouveau poste à Sainte-Julienne, dans Lanaudière. Le coût estimé du projet est passé de 180 millions en phase de planification – lorsque la société d’État compare des scénarios – à un budget finalement autorisé de 385 millions.
« La Régie s’interroge sur les moyens dont dispose Hydro-Québec pour adresser la pression inflationniste et les tensions dans le marché de la main-d’œuvre » alors qu’elle « s’engage dans un vaste plan de croissance », lit-on dans cette décision.
Hydro-Québec s’est en effet engagée à injecter près de 200 milliards au cours des 10 prochaines années pour entretenir ses infrastructures et adapter son réseau pour répondre à la demande qui grandit.
« Réel enjeu » en vue
« C’est préoccupant », laisse tomber Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. Il précise toutefois qu’Hydro-Québec n’est pas « nécessairement à blâmer ».
La planification de grands projets d’infrastructures est actuellement périlleuse, note-t-il.
Peut-être que des gens ont mal fait leur travail, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, tous les équipementiers et les fournisseurs font face à une multiplication des projets d’infrastructure. En plus, il y a une énorme incertitude à l’échelle internationale, avec les tarifs et le coût de l’acier qui sont très élevés.
Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal
« Le risque que la transition coûte plus cher que prévu est réel. Comme dirait un juriste : il y a un doute plus que raisonnable », estime Sylvain Audette, professeur à HEC Montréal et membre associé à la Chaire de recherche en gestion du secteur de l’énergie.
Qui va payer les dépassements de coûts de la transition énergétique ? « Présentement, on épargne les clients résidentiels », rappelle le spécialiste. Le gouvernement du Québec a décidé de plafonner les augmentations des tarifs résidentiels à 3 %. Résultat : la facture est refilée aux clients institutionnels, commerciaux et industriels d’Hydro-Québec. « Et ça, dans une quinzaine d’années, ça va être un réel enjeu », lance-t-il.
Son de cloche similaire de la part de Pierre-Olivier Pineau, qui souligne que c’est « un grand risque et une erreur fondamentale » de faire payer le surcoût des projets liés à la transition énergétique à certains clients pour en épargner d’autres.
Ce sont les surconsommateurs qui doivent payer plus, et ce, peu importe leur catégorie, selon lui. « Sinon, on se prépare à de gros problèmes parce que ces projets ont de bonnes chances de déraper. On est juste au début ; on a à peine commencé [la transition énergétique]. »
Interconnexion Hertel‑New York
- Budget autorisé : 1,1 milliard
- Coût anticipé : 1,9 milliard
- Mise en service : mai 2026
Hydro-Québec doit envoyer annuellement 10,4 TWh à la ville de New York. Pour y arriver, il faut construire au Québec une ligne souterraine de 56 km, en plus d’une ligne sous-marine 1,6 km dans la portion québécoise du lac Champlain. Cette ligne à courant continu, d’une tension de 400 kV, reliera le poste Hertel, à La Prairie, à un point d’interconnexion dans la rivière Richelieu. Un convertisseur doit être installé au poste Hertel pour convertir le courant alternatif du réseau d’Hydro‑Québec en courant continu pour alimenter la nouvelle interconnexion.
Interconnexion des Appalaches-Maine
- Budget autorisé : 823 millions
- Coût anticipé : 1,2 milliard
- Mise en service : décembre 2025
Pour être en mesure d’exporter vers la Nouvelle-Angleterre, aux États-Unis, Hydro-Québec doit construire une ligne de transport d’environ 100 km qui relie le réseau québécois à celui du Maine. Celle-ci doit partir du poste des Appalaches, à Saint‑Adrien‑d’Irlande, dans la région de Chaudière‑Appalaches, où un convertisseur modifiera le courant alternatif en courant continu. Elle se raccordera à la ligne de transport New England Clean Energy Connect au sud de nos frontières.




