«Mon BBcédaire» : le testament de littéraire de Brigitte Bardot

Rire ? « C’est contagieux, mieux que le Covid ! » Progrès ? « C’est le meilleur et le pire ! » Rap ? « Épouvantable manière sauvage et primaire de faire des sons sans queue ni tête. » Liberté ? « C’est d’être soi, même quand ça dérange. » Arnaque ? « Quotidien actuel. » Ainsi s’enchaînent les mots choisis par Brigitte Bardot dans Mon BBcédaire, publié chez Fayard.
Un dictionnaire intime, fruit d’une correspondance patiemment tissée pendant plus de six ans avec Ayoub Bougria, ingénieur nucléaire de métier. De ces échanges complices est née une œuvre à la fois dense et surprenante, où se déploient les réflexions d’une femme qui vient de fêter ses 91 ans. Une femme que l’on peut dire, « à l’hiver de sa vie », mélancolique parfois, troublée aussi par les nouveaux codes que notre société impose.
Rien pourtant n’a terni ce franc-parler qui demeure sa signature : sans fard, avec une sincérité brute qui désarme autant qu’elle dérange. « Votre image de marque c’est la franchise, et j’aime à rencontrer des gens qui ne trichent pas », lui lançait Jacques Chancel en 1970 dans « Radioscopie ». Le compliment semble écrit pour durer. Cinquante ans plus tard, ce BBcédaire en est la preuve : elle livre un « testament littéraire » d’une sincérité à nu.
Relation épistolaire
À l’origine, il n’était question d’aucun projet. Par une soirée d’automne 2018, Ayoub Bougria, dans la fraîcheur de sa jeunesse et porté par son amour érudit du cinéma français, osa lui adresser une lettre, « parce que cette génération va nous laisser orphelins », raconte-t-il. Elle décida d’y répondre. Après ce premier courrier s’ensuivirent plusieurs années de correspondance, jalonnées de dizaines et de dizaines de lettres. Peu à peu, une amitié profonde s’est tissée. Brigitte Bardot, au fil de cette relation épistolaire, livrait ses états d’âme : ses joies, ses peines, ses colères, ses humeurs changeantes.
Dans ce BBcédaire, Bardot convie aussi à un voyage à travers le cinéma d’antan
Ayoub Bougria, avec qui elle découvrait tant d’idéaux communs, devint bientôt plus qu’un correspondant : un confident, auprès duquel elle pouvait s’évader. Le rituel s’installa : il lui adressait un mot, elle lui renvoyait une réponse, une définition, forgée dans l’expérience de sa vie. « Nous étions en 2020, en plein confinement, se souvient le jeune homme interrogé par le JDNews. Je lui adressais quantité de mots, auxquels elle répondait par une définition : parfois une humeur, parfois une passion, une insolence ou une colère… ça l’amusait ! S i on lui propose un échange écrit qui a de l’intérêt, elle répond toujours. L’idée était simple : qu’elle reçoive autre chose par courrier que des impôts et des contraventions. Et moi, j’aime recevoir du beau dans ma boîte aux lettres, pour me consoler de la morosité. »
La suite après cette publicité
Dans ce BBcédaire, Bardot convie aussi à un voyage à travers le cinéma d’antan. Les années 1930 d’abord, avec Jean Gabin, « ours au mauvais caractère, impressionnant et difficile à apprivoiser ». Puis les années 1950, insouciantes et libres, incarnées par la romancière Françoise Sagan, qui deviendra son amie, sa « sœur en scandale », comme elle aimait à l’appeler : « Nous avons été célèbres ensemble, nous étions différentes des autres, libres, impudiques, nous foutant de tout. » Et viennent les années 1960, marquées par un autre mythe, son ami Alain Delon, icône de beauté et de liberté, qu’elle décrit avec une féroce lucidité : « L’aigle à deux têtes, le yin et le yang, l’arc de triomphe de son ego qui ne peut s’empêcher de détruire jusqu’à lui-même. Porte en lui le meilleur et le pire. »
Militantisme
L’ouvrage ne saurait être lu sans la lumière, parfois crue, de ses engagements. Brigitte Bardot y apparaît telle qu’elle est devenue au fil des décennies : militante, grande défenseuse de la cause animale, voix qui s’élève avec la même intransigeance contre les gouvernants que contre l’immigration. Ses mots ne cherchent plus à plaire ou à séduire : ils dérangent, parfois divisent. La droite : « Le seul remède urgentissime à l’agonie de la France. » La démocratie ? « Rarement mise en application… Peut se terminer en guerre civile. »
« Sinistra en italien : être de gauche c’est être maladroit, triste, sinistre, ordinaire, révolutionnaire mais avec un cœur qui se situe à gauche ! »
Et le gauchisme alors ? « Sinistra en italien : être de gauche c’est être maladroit, triste, sinistre, ordinaire, révolutionnaire mais avec un cœur qui se situe à gauche ! » Chaque fois qu’il s’agit de prendre fait et cause pour les animaux, ses définitions deviennent alors aussi simples que redoutables. Ainsi, l’élevage n’est autre que « la manière de préparer les animaux à être dignes d’aller à l’abattoir », la chasse est « l’impitoyable prédominance humaine sur la faiblesse, l’innocence animale », tandis que l’abattage s’entend comme « la destruction volontaire de la vie, assassinat programmé, imposé par l’humain aux animaux et aux arbres ».
Révolte et tendresse
Mais que serait ce BBcédaire sans une dose de trash ? Bardot dit les choses crûment, et affirme ses valeurs. Ainsi, le féminisme n’est pour elle rien de moins qu’une « réunion de femmes imbaisables », tandis que sa définition de la féminité se drape de nostalgie : « Le charme, la séduction, la grâce, la tendresse… Hélas les femmes veulent devenir les égales des hommes, perdent petit à petit leur fragilité et leur beauté, tandis que les hommes se féminisent de plus en plus. » Malicieusement, elle se plaît à écrire : « On dit que Dieu a créé l’homme à son image. Mais c’est un brouillon qu’il a fait ! En plus, il est moche à part de rares exceptions. »
Bien d’autres mots viennent encore esquisser le kaléidoscope de sa vie. Arletty, Beethoven, Brassens, Trintignant, Pagnol… On retiendra la définition de sa France : « Cher pays de mon enfance dont les lumières se sont éteintes. » Une France que la Marianne du cinéma décrit comme fracturée, méconnaissable parfois, mais qu’elle continue d’aimer profondément. Au fond, la vérité de ce BBcédaire tient peut-être à ce mélange de révolte et de tendresse, où Brigitte Bardot se révèle désenchantée, prise dans l’entre-deux fragile de deux époques qui se confrontent. Cette lucidité vaut témoignage, car on ne détourne pas le regard de la voix de nos aînés. On considère souvent La Vérité de Clouzot comme le chef-d’œuvre de Bardot. Quelque part, ce BBcédaire est aussi sa vérité.




