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Loi 2 sur les médecins | Les médecins ne décolèrent pas, Santé Québec appelle au calme

(Québec) Les médecins spécialistes s’adresseront mercredi aux tribunaux pour faire invalider les articles de la loi 2 qui violeraient les libertés individuelles. Au même moment, Santé Québec demande à l’ensemble de ses employés de « maintenir un climat serein » dans le réseau. Mais de nombreux médecins, sous le choc, appellent à l’aide.


Publié à 10 h 45

Mis à jour à 14 h 29

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a convié la presse mardi à Québec alors que les parlementaires regagnent l’Assemblée nationale, trois jours après avoir adopté sous bâillon la loi spéciale du gouvernement Legault pour changer le mode de rémunération des médecins et les dissuader de quitter le Québec en guise de représailles.

« On ne va pas étaler notre stratégie sur la place publique parce qu’on va garder nos cartes près de nous. Au minimum, la violation des libertés individuelles va être au cœur de cette poursuite », a indiqué le président, le Dr Vincent Oliva. « On va demander que certains éléments soient suspendus immédiatement », a-t-il ajouté, évoquant la série de sanctions prévues si un médecin se désengage du régime public.

Le Dr Vincent Oliva était accompagné de plusieurs médecins spécialistes qui portaient du ruban adhésif noir sur la bouche en référence au recours au bâillon par le gouvernement Legault.

La FMSQ a déploré que la loi 2 vienne par ailleurs abolir le « supplément à la consultation » des médecins spécialistes, un montant qui bonifiait le tarif de la première visite d’un patient, ainsi que la prime pour la rédaction d’un rapport détaillé destiné aux médecins de famille.

Le Dr Oliva a précisé que les spécialités les plus touchées par l’abolition du « supplément à la consultation » peuvent perdre jusqu’à 30 % de leur rémunération et que pour « certains médecins individuellement », cela peut être jusqu’à 50 %. Des estimations que contestent Québec. Selon eux, la spécialité la plus touchée, la pneumologie, pourrait subir des pertes de 17 %.

Le gouvernement affirme que l’intention n’est pas d’abolir le « supplément à la consultation » mais de mieux le répartir à travers les spécialités. Québec ajoute que ces tarifs peuvent être négociés à la table si les fédérations acceptent d’y revenir. Or, le lien de confiance envers le ministre de la Santé est brisé, soutient le Dr Oliva.

« Si le premier ministre nous dit que c’est le Conseil du trésor [qui négocie] et qu’il enlève toutes ces cochonneries et que M. Dubé n’interférera pas dans cette négociation. On est prêt à écouter », a expliqué le président de la FMSQ.

En mêlée de presse, le ministre de la Santé a brièvement réagi en affirmant qu’il comprend la réaction des médecins, que sa loi impose de « gros changements » et que c’est « leur droit de faire la procédure qu’ils enclenchent ». « Mais de mon côté […] je vais continuer de protéger les patients », a-t-il dit.

Par ailleurs, la FMSQ n’est pas prête à prendre une part de responsabilité dans l’échec de la négociation mise à part d’avoir « été trop naï[ve] » devant le gouvernement.

Appel au calme

Santé Québec lance un appel au calme au moment où la colère gronde dans le milieu médical. Sa PDG, Geneviève Biron, demande aux employés, y compris les médecins, de « maintenir un climat serein » pour préserver la « stabilité » du réseau de la santé et des services sociaux.

La grande patronne de la société d’État a fait parvenir mardi une note à l’ensemble des quelque 330 000 travailleurs du réseau public dans la foulée de l’adoption de la loi spéciale du gouvernement Legault, qui revoit le mode de rémunération des médecins et les dissuade de quitter le Québec.

« Nous sommes tous au fait de l’actualité des derniers jours et constatons que l’adoption de la loi 2 suscite des réactions et des interrogations. En ce moment, plus que jamais, il est essentiel de rester unis, d’aller de l’avant avec calme, d’être à l’écoute tout en faisant preuve de bienveillance envers nos collègues, ainsi que nous-même », écrit Geneviève Biron dans une note que La Presse a pu consulter.

Depuis vendredi, le moral des troupes est au plus bas dans le réseau, selon nos informations. Des médecins ont d’ailleurs manifesté mardi devant l’Assemblée nationale alors que les parlementaires siègent à Québec.

Dans sa missive, Santé Québec admet par ailleurs qu’elle est elle-même toujours à analyser la portée de la loi 2 et « d’en dégager les grandes lignes concrètes pour [son] organisation ».

« Nous voulons bien comprendre ce que cela veut dire pour notre organisation, la portée et les effets sur l’ensemble des équipes », ajoute Mme Biron. Elle précise que Santé Québec a un « rôle d’accompagnateur » et que les dispositions de la loi « seront mises en œuvre progressivement ».

Des PDG expriment un malaise

Selon des sources consultées par La Presse, plusieurs PDG d’établissements de santé ont exprimé à Santé Québec un malaise vis-à-vis de la loi 2, notamment en ce qui a trait aux sanctions imposées aux médecins en cas d’actions concertées.

Geneviève Biron a exprimé aux PDG à « plusieurs reprises l’importance d’être bienveillant et de montrer de l’empathie envers le corps médical », indiquent ces sources.

Des directions d’établissements confirment à La Presse avoir tenu ou tenir cette semaine une rencontre avec les chefs de départements afin de voir comment elles peuvent « accompagner » les médecins dans le contexte actuel. Elles veulent garder leurs troupes mobilisées.

« Détresse sans précédent »

Le Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ) se dit « submergé » d’appels depuis l’adoption de la loi 2 samedi.

« Depuis les derniers jours, le volume [de demandes] a doublé par rapport au volume usuel », indique sa codirectrice médicale, la Dre Sandra Roman.

Ce qu’on observe, c’est vraiment une détresse qu’on n’a jamais observé nous ici. Ça fait 20 ans que je travaille au programme d’aide aux médecins et c’est inédit.

La Dre Sandra Roman, codirectrice médicale au Programme d’aide aux médecins du Québec

Les médecins qui contactent la ligne d’aide sont « extrêmement anxieux », selon elle. « Ils me témoignent de l’espèce de perte de sens qu’ils ressentent, de la perte de repères et ils sont très blessés par ce qu’ils perçoivent comme un profond manque de reconnaissance par rapport à leur engagement, à tout ce qu’ils font au quotidien pour leurs patients », explique la Dre Roman.

Le PAMQ reçoit aussi des appels de gestionnaires et de leaders médicaux « préoccupés par leur équipe », ajoute-t-elle. « Eux reçoivent toute cette détresse de leur équipe et sont un peu démunis pour pouvoir les soutenir et les aider. Ils nous appellent pour être guidés. »

Des droits fondamentaux bafoués ?

Du côté de Québec, mardi, les partis d’opposition ont une fois de plus tiré à boulets rouges sur la loi Dubé. Québec solidaire (QS) a annoncé qu’il enverrait une lettre à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour lui demander son avis.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le député de Québec solidaire, Vincent Marissal

Selon les députés Vincent Marissal et Guillaume Cliche-Rivard, certains aspects de la loi – notamment les pénalités financières prévues contre ceux qui se trouvent en contravention face à la loi (jusqu’à 500 000 $ par jour pour une fédération ou un regroupement) – pourraient soulever des enjeux en matière de protection des droits fondamentaux.

« Quand on dérive, on peut toujours ramener le gouvernail. Je demande [à Christian Dubé] de retirer ces amendes, ces sanctions absolument astronomiques et déraisonnables, disproportionnées de son projet de loi », a demandé mardi M. Marissal.

Le député libéral Marc Tanguay, dont le parti promet de « scrapper » la loi Dubé s’il forme le prochain gouvernement, affirme que le gouvernement démobilise actuellement les médecins.

« Pourquoi [le gouvernement] ne s’attaque-t-il pas aux 150 salles d’opération qui ne sont pas ouvertes ? Pourquoi ne s’attaque pas aux 30 % de postes ouverts non comblés pour aller travailler dans les urgences ? Pourquoi ne s’attaque-t-il pas à cela ? Alors, en s’attaquant aux médecins, il le fait au détriment des patients », a dit M. Tanguay.

Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon se laisse pour sa part un an pour réviser la loi en profondeur afin de la modifier s’il prend le pouvoir lors de la prochaine élection.

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse

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