«Je n’ai pas tué Nicole!»: des images inédites de l’interrogatoire de l’ex-juge Jacques Delisle rendues publiques pour la première fois

Dans un interrogatoire policier tenu en 2010 et qui n’avait jusqu’ici jamais été rendu public, l’ex-juge Jacques Delisle niait toute implication dans le décès de sa femme, une version qu’il avouera mensongère quelques années plus tard.
• À lire aussi: Interrogatoire de l’ex-juge Jacques Delisle: voici cinq moments marquants de cet exercice inédit
«Je n’ai pas tué Nicole et je n’ai rien à voir avec ça!» peste l’ancien juge de la Cour d’appel, visiblement excédé, sur les bandes vidéo de cet interrogatoire policier.
Quinze ans après l’arrestation de Delisle pour le meurtre de son épouse, notre Bureau d’enquête a obtenu des extraits exclusifs de son interrogatoire, que nous avons visionné en entier.
Ce matériel inédit est révélé alors que la nouvelle version revue et augmentée du livre Le dernier procès, l’affaire Jacques Delisle est publiée aujourd’hui aux Éditions du Journal. La série documentaire L’affaire du juge Delisle sera quant à elle accessible sur illico+ dès demain.
«C’était inespéré»
Durant cette rencontre d’une heure et demie, Jacques Delisle parle beaucoup. Il pose des questions, s’ouvre sur sa carrière et sur la maladie de sa défunte épouse, entre autres. Il partage aussi ses inquiétudes sur les conséquences de son arrestation.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l’émission de Mario Dumont, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Généralement calme et posé, il se montre toutefois plus incisif par moments. Il se permet même de reprendre son interlocuteur, notamment sur la qualité de son français.
Tout cela a surpris l’enquêteur Dave Dufour, qui menait l’interrogatoire. Le policier s’attendait plutôt à ce que l’ex-juge Delisle garde le silence comme le font souvent plusieurs accusés, sous les recommandations de leur avocat.
Photo fournie par Dave Dufour.
«C’était inespéré […] Tout le monde disait qu’il ne parlerait pas du tout et que ça serait un monologue que je ferais», se souvient en entrevue celui qui a récemment pris sa retraite à titre de capitaine du Service de police de la Ville de Québec.
Pas d’aveu
S’il participe au dialogue, Jacques Delisle ne fera toutefois aucun aveu.
«Je ne l’ai pas commis, ce meurtre-là!» se défend l’ex-magistrat alors âgé de 75 ans, confiné dans le coin d’une salle d’interrogatoire contiguë, à l’ancienne centrale de police du parc Victoria.
Capture d’écran tirée de l’interrogatoire
Il évite aussi de répondre aux questions entourant les circonstances du décès de son épouse, Nicole Rainville, affirmant qu’une situation particulière prévalait entre les époux au matin fatidique du 12 novembre 2009.
Nicole Rainville, la femme de l’ancien juge Jacques Delisle.
Photos d’archives
«Vous faites fausse route sur toute la ligne parce qu’il y a une dynamique de ce matin-là que vous ne possédez pas et que vous posséderez en temps et lieu», lance-t-il, sans toutefois préciser le fond de sa pensée.
Manque de temps
Dave Dufour se dit aujourd’hui satisfait de cet interrogatoire, bien qu’il ait été écourté.
C’est que Jacques Delisle avait été arrêté en fin d’avant-midi et devait être mené rapidement à la cour pour être formellement accusé. L’entretien a donc duré un peu plus d’une heure et demie, alors que ce type d’interrogatoire peut généralement s’étirer sur plusieurs heures.
«J’avais créé un lien avec. Mais on a manqué de temps», analyse Dave Dufour, qui est devenu, au fil de sa carrière, une référence en matière d’interrogatoires policiers.
Capture d’écran tiré de l’interrogatoire.
15 ans de saga
Rappelons que la saga judiciaire de l’ex-juge Jacques Delisle a été marquée par moult rebondissements durant près de 15 ans, ce qui en a fait l’une des affaires les plus médiatisées au Québec (voir ci-dessous).
Après avoir clamé son innocence durant des années, Delisle a finalement plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire en mars 2024.
Photo Stevens LeBlanc
Il est décédé en août 2024, à l’âge de 89 ans.
Qui est Jacques Delisle?
- Né en 1935, à Montréal. Il déménage à Québec à un jeune âge.
- Jacques Delisle a été avocat civiliste durant près de 25 ans. Il a ensuite été nommé juge à la Cour supérieure en 1983, puis à la Cour d’appel en 1992.
- Il prend sa retraite de la magistrature en 2009, pour s’occuper de son épouse, paralysée du côté droit.
- Il meurt à l’été 2024, à l’âge de 89 ans.
La saga de l’ex-juge Delisle en huit dates
12 novembre 2009
Nicole Rainville, 71 ans, est retrouvée morte avec une balle dans la tête, dans son luxueux condo de Sillery. Son mari, l’ex-juge Jacques Delisle, affirme que sa femme s’est enlevé la vie pendant son absence. Or, une étrange trace de noir de fumée incrustée dans la paume de la défunte sème le doute chez les enquêteurs.
Une étrange tache noire incrustée dans la paume gauche de Nicole Rainville a semé le doute chez les enquêteurs.
Photo fournie par le SPVQ
15 juin 2010
Jacques Delisle est arrêté et accusé du meurtre prémédité de son épouse. Les expertises scientifiques laissent croire que Nicole Rainville, paralysée du côté droit du corps, n’a pu faire feu elle-même. Et les autorités sont convaincues que c’est Jacques Delisle qui a tiré.
8 mai 2012
Au premier jour du procès, la Couronne lance une bombe en affirmant que Jacques Delisle aurait assassiné son épouse pour rejoindre sa secrétaire de 20 ans sa cadette, avec qui il entretenait une liaison secrète. L’accusé, qui soutient que sa femme, dépressive, s’est enlevé la vie durant son absence, ne témoignera pas.
L’ex-juge Jacques Delisle lors de son procès, en 2012.
Photo d’archives, JEAN-CLAUDE TREMBLAY
14 juin 2012
Au bout de six semaines de procès marquées par une guerre d’expertises, Delisle est reconnu coupable de meurtre prémédité. À 77 ans, il est condamné à l’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Il porte l’affaire en appel, sans succès.
20 mars 2015
Se disant victime d’une erreur judiciaire, Jacques Delisle livre pour la première fois sa version des faits. Il reconnaît avoir menti et avoir eu un rôle à jouer dans le décès de sa femme. Il affirme maintenant lui avoir fourni l’arme chargée avec laquelle elle aurait mis fin à ses jours. Il demande au ministre fédéral de la Justice de réviser son dossier.
7 avril 2021
Après six ans d’enquête et après avoir obtenu une dizaine d’expertises scientifiques liées au dossier, le ministre fédéral de la Justice ordonne un nouveau procès. Il se dit convaincu qu’une possible erreur judiciaire a été commise. Emprisonné depuis neuf ans, Jacques Delisle retrouve sa liberté conditionnelle.
L’ex-juge Jacques Delisle à sa sortie du pénitencier, en 2021. Il venait de passer près de neuf ans derrière les barreaux.
Photo d’archives, Martin Alarie
8 avril 2022
Le second procès n’aura pas lieu: la Cour supérieure ordonne un arrêt des procédures, au motif qu’un des experts de la Couronne a commis une faute grave dans le dossier. Mais, l’année suivante, la Cour d’appel casse ce jugement. Retour à la case départ pour Delisle, toujours en attente de son deuxième procès pour meurtre.
14 mars 2024
Après avoir clamé son innocence durant près de 15 ans, Jacques Delisle plaide coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire. Fait inusité, la Couronne déclare qu’elle demeure convaincue que Jacques Delisle aurait pu être trouvé coupable de meurtre s’il y avait eu un second procès.
L’ex-juge Jacques Delisle plaide coupable à l’homicide de son épouse au palais de Justice de Quebec, jeudi le 14 mars 2024.
STEVENS LEBLANC/JOURNAL DE QUEBEC/AGENCE QMI)
Photo d’Archives, Stevens LeBlanc
L’accusé est condamné à une journée de prison supplémentaire, qui s’ajoute à la peine déjà purgée.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l’adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.




