Lisette Lapointe: «L’amour a guidé ma vie»

Jean-Marie a vécu de grands moments d’émotion au cours de sa rencontre avec Lisette Lapointe, mais l’un deux l’a ému aux larmes. Alors qu’elle lui confie qu’elle ne veut plus se mettre en couple après sa grande histoire d’amour avec Jacques Parizeau, elle lui raconte une anecdote des plus touchantes. Chaque soir, à 19 h, son alarme retentit — l’heure précise à laquelle Jacques l’appelait chaque fois qu’ils n’étaient pas ensemble. Dix ans après son départ, cette sonnerie continue de marquer leur rendez-vous quotidien. «C’est l’heure de mon homme», dit-elle avec tendresse. Un rituel bouleversant, empreint d’amour et de fidélité, qui illustre à quel point le lien demeure vivant malgré le temps. Notre collaborateur tient aussi à préciser que Mme Lisette Lapointe a insisté pour qu’il la tutoie — après tout, ils sont tous deux des Lapointe…
• À lire aussi: «Jour de référendum»: L’état des lieux, 30 ans plus tard
• À lire aussi: Agenda culturel octobre 2025 : festivals, évènements, spectacles, théâtre, films, expositions et livres
• À lire aussi: À 100 ans, Janette Bertrand revient à la télévision
Ma rencontre avec Lisette Lapointe a été vibrante. Elle m’a même dit à quel point elle appréciait mon père (le regretté Jean Lapointe), en rappelant que ce dernier était devenu encore plus souverainiste à la fin de sa vie. Mon entrevue avec elle s’est donc déroulée dans une ambiance de proximité et de complicité naturelle, entre Lapointe (sourire), donnant lieu à un échange sincère, empreint de respect et d’émotion.
Ton livre, De combats et d’amour, donne l’impression d’être beaucoup plus qu’une simple autobiographie. Qu’est-ce que tu as voulu transmettre?
C’est un hymne à la vie, un hommage à l’homme de ma vie, Jacques Parizeau, à son œuvre, à sa mission, et à son legs. Je veux absolument que les gens se souviennent de lui, qu’ils le connaissent mieux, qu’ils comprennent mieux la façon dont il a travaillé, tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a réalisé. Mais c’est aussi un regard sur une époque. Mon livre commence quand même au milieu des années 1940, à une époque où les femmes n’avaient pas les mêmes droits qu’aujourd’hui. Une femme séparée, par exemple, ne pouvait pas faire d’emprunt à la banque et devait avoir l’autorisation du père pour faire opérer son enfant.
C’est important de le rappeler particulièrement aux plus jeunes?
Absolument. Il faut dire: regardez, on a fait un bout de chemin extraordinaire, mais il faut rester vigilants et vigilantes. Tout est tellement fragile. C’était une époque d’immense transformation. Plus on grandissait, on se disait: on ne veut pas vivre la vie de nos mères. La religion était un poids incroyable. Les pas qu’on a faits dans la société vers la laïcité, c’est extraordinaire, parce qu’on est plus libres. Il faut aussi se souvenir de l’enfer qu’on faisait vivre aux jeunes filles qui devenaient enceintes sans être mariées, souvent en les forçant à abandonner l’enfant. J’aime bien penser que les gens qui vont lire mon livre vont apprendre des choses sur cette époque-là et se dire: «On ne retournera plus jamais là.»
Puisque ton livre est chronologique, comment qualifies-tu ton enfance pour quelqu’un qui ne te connaît pas?
L’enfance que j’ai eue… J’ai été privilégiée. Je suis l’aînée de quatre enfants. Nos parents s’aimaient beaucoup. Deux parents enseignants qui aimaient la culture, la musique. La maison était toujours pleine de musique. Maman chantait toujours. Les oncles, les tantes… tout le monde jouait d’un instrument. Il y avait toujours une occasion de fêter quelque chose.
Tu parles aussi beaucoup de Saint-Adolphe. Quel rôle a joué cet endroit?
Mes parents ont construit leur premier chalet à Saint-Adolphe avant ma naissance. J’ai commencé à y aller très jeune, j’ai appris à nager en même temps que j’apprenais à marcher. Ç’a été toute l’enfance, l’adolescence, des étés formidables. Tout ce que la nature, la campagne peut apporter. Adulte, j’y ai acheté une maison au bord d’un lac, je l’ai transformée et j’y ai vécu 36 ans.
C’est pour cela que tu es devenue mairesse de Saint-Adolphe?
En fait, j’ai fait le saut quand un problème majeur est arrivé: Hydro avait décidé de passer une ligne à haute tension sur le sommet des montagnes, au-dessus des lacs, sur 13 kilomètres. Dans un petit village où tout le monde est là pour la beauté, la nature, ça ne passait pas. J’avais terminé un mandat de députée en 2012, et je voulais profiter au maximum de cette liberté nouvelle avec mon mari. J’ai beaucoup hésité quand les gens m’ont poussée à aller à la mairie, mais mon mari, Jacques, disait toujours : « Si tu crois qu’il faut y aller, vas-y, vais être avec toi. On va le faire ensemble».
Tu avais un sacré partenaire!
Nous avons été partenaires, je dirais, à partir de 1992, dès notre mariage. Quand il a été élu premier ministre, en 1994, il m’a demandé: « Est-ce que tu veux faire ce bout de chemin avec moi? Je te veux comme conseillère à mon bureau. Je te veux comme partenaire. » Ça n’avait jamais été fait, c’était une première au Québec. On était mariés depuis deux ans à ce moment-là.
Vous avez été mariés pendant 23 ans. Qu’est-ce qui vous a rapprochés, au départ?
Tous les deux, nous avions vécu un drame épouvantable. Lui avait vécu le combat du cancer de sa femme, Alice, une femme extraordinaire, décédée après 34 ans de vie commune. En parallèle, il y a eu l’accident de mon fils, Hugo, qui a été écrasé par une moissonneuse-batteuse. Il venait d’avoir 14 ans. Cette nuit-là, j’ai cru mourir. Les médecins l’ont appelé leur miracle: 12 fractures au bassin. Ça lui a demandé une extraordinaire vaillance pour s’en sortir et être comme avant.
Julien Faugere / TVA Publications
Vous vous êtes donc rencontrés alors que vous étiez tous les deux marqués par une grande douleur?
Quand on s’est rencontrés, sa femme était décédée depuis un an et demi et Hugo allait mieux, depuis environ un an. On était encore complètement là-dedans, mais quand Jacques et moi, on se regardait, on savait que l’autre comprenait ce qu’on avait vécu.
Comment t’a-t-il approchée, la première fois?
On s’est retrouvés dans un restaurant, par hasard. Il m’a demandé d’aller le voir à son bureau. Il m’a dit que ses équipes voulaient le changer, qu’il se coiffe autrement, qu’il arrête de rire. Il m’a demandé: « Est-ce que vous pouvez vérifier ce qu’on dit dans les médias, ce que disent les commentateurs, tout ça, puis me faire une proposition? Est-ce que je devrais changer la veste, la cravate, ceci, cela? » Je l’ai revu un mois plus tard et je lui ai dit: « Il ne faut pas vous changer. Les gens aiment votre franc parler, votre franchise.» Je lui ai rappelé qu’ils l’avaient accepté tel qu’il était, avec son complet trois pièces, dans son comté de l’Assomption en 1976. Ils appréciaient la personne, sa compétence, sa droiture. Mon seul conseil était peut-être de faire attention à ne pas avoir l’air arrogant ou hautain.
Et qu’as-tu découvert en effectuant ce travail pour lui?
Je l’ai revu un mois plus tard et je lui ai dit: «Faut pas vous changer. Les gens aiment votre parler vrai, votre franchise.» Je lui ai dit qu’ils l’avaient accepté même avec sa veste et sa pochette, dans son comté. Ils considéraient la personne, la compétence, la droiture. Mon seul conseil était peut-être de faire attention que ça n’ait pas l’air arrogant ou hautain.
C’est à ce moment qu’il t’a posé une question plus personnelle?
Oui. Il m’a dit: « Est-ce que je peux vous poser une question indiscrète? » J’ai dit oui. Il m’a demandé: « Est-ce qu’il y a un homme dans votre vie? » J’ai eu un frisson… Je cru voir de la tendresse dans son regard. Nous étions libres tous les deux… C’était le commencement d’une formidable histoire d’amour. Ça n’a pas été long pour qu’on se rende compte qu’on aimerait vivre ensemble. Il avait déjà son plan politique en tête et me l’a expliqué. En 1993, il y aurait l’élection du Bloc québécois à Ottawa, Ensuite, l’élection du Partiquébécois au Québec en 1994 avec l’engagement de tenir un référendum 8 à 10 mois plus tard pour réaliser la souveraineté. Il avait ajouté « Si je gagne, je reste le temps de mettre le train sur les rails. Et si je perds, je pars immédiatement. » Il m’est revenu exactement avec ce plan quand il m’a demandée en mariage.
Si tu devais résumer Jacques Parizeau pour quelqu’un qui ne le connaît pas, que dirais-tu, en une phrase?
Il y a l’homme privé et il y a le libérateur de peuple. L’homme de famille, d’empathie, toujours intéressé aux autres. Il mettait toujours en valeur tous ceux qui travaillaient avec lui. C’est l’homme tendre, loyal.
Et l’amoureux?
Je suis encore avec lui, là, en ce moment. Cet amour-là, il est toujours vivant pour moi.
Et le politicien, le «libérateur de peuple»?
L’homme qui voulait donner au Québec les moyens de ses ambitions. Pour lui, on avait le droit de gérer nous-mêmes nos propres affaires. « N’ayez pas peur de vos ambitions. N’ayez pas peur des obstacles que vous trouverez sur votre route. N’ayez pas peur de vos rêves. N’ayez pas peur de rêver», avait-il dit dans son dernier grand discours sur la souveraineté, qu’il a fait devant un millier de jeunes, deux ans avant son décès. C’est écrit sur la plaque au pied de son monument dans les jardins de l’Assemblée nationale, au bout de la rue Jacques-Parizeau. Quelle fierté ce monument! Ça a été six ans de travail de toute une équipe pour leréaliser, pour honorer sa mémoire. Nous avons créé le Fonds Jacques Parizeau et lancé une campagne de financement populaire. C’est la famille et les proches qui sont responsables du financement, pas le gouvernement.
Tu as goûté à la politique, pas juste comme conjointe, mais comme députée et mairesse. Comment définis-tu la politique?
La politique, c’est vouloir améliorer les choses. C’est agir pour faire les changements qu’il faut. Et c’’est quoi l’indépendance? C’est faire nos lois. C’est recueillir tous nos impôts puis déterminer qu’est-ce qu’on fait sur la scène internationale. C’est ça, la souveraineté. La nation québécoise a le droit d’avoir son pays, moi j’y crois profondément. Je termine d’ailleurs mon livre sur les paroles inspirantesde Jacques Michel: « Viens, un nouveau jour va se lever (…) Le temps des révérences est terminé.»
Tu as aussi fait ta marque en tant que conseillère auprès de Jacques Parizeau…
Oui et il m’a confié des dossiers auxquels il tenait. Ma plus grande fierté, ce sont les Carrefours Jeunesse-Emploi. J’ai vraiment fait en sorte de les déployer, de les lancer à travers tout le Québec. C’est plus d’un million et demi de jeunes qui ont été aidés par les Carrefour Jeunesse Emploi depuis 30 ans. J’ai aussi convaincu le premier ministre que 5% des profits des casinos soit octroyé chaque année l’action communautaire. J’ai réussi à faire des choses pour améliorer la vie des gens. J’ai plus tard été députée durant cinq ans. J’ai adoré ça.
Ton livre s’intitule De combats et d’amour, pourquoi?
Il y a des combats que j’ai menés et je tenais à les raconter. Puis, il y a une ligne directrice: l’amour. L’amour de ma famille, de mes enfants, des hommes qui ont marqué ma vie – parce que j’ai eu plusieurs vies – et surtout de l’homme de ma vie. Et l’amour du pays. Comme le dit Victor-Lévy Beaulieu, le «pays pas encore pays».
Après ta relation avec Jacques, tu ne te vois pas retomber amoureuse?
Non, parce que c’est trop beau, ce qu’on a vécu. Il est encore très, très, très présent. D’ailleurs, quand on n’était pas ensemble, il m’appelait tous les soirs à 19 h. J’ai gardé l’alarme. Il me demandait: « Comment a été ta journée? » Il disait: « Ma dulcinée, la femme de ma vie.» Et j’ai gardé l’alarme. C’est l’heure de mon homme. Quand on a connu un amour comme ça… Je le souhaite à tout le monde. Évidemment, sa présence, ses mots me manquent toujours…
Comment composes-tu avec son absence aujourd’hui?
IIl a fallu que je m’adapte. Ç’a été très, très dur au début. Mais comme j’étais mairesse et que je m’étais engagée, je me suis jetée dans le travail. J’avais le soutien de mes enfants et de nouveaux amis. L’amitié, c’est aussi fort que l’amour, souvent.
Qu’est-ce que tu souhaites que le lecteur ou la lectrice retienne de ton livre?
J’ai eu une vie extraordinaire. J’ai mené des batailles. Je ne les ai pas toutes gagnées, mais je n’ai jamais renoncé. Et puis, il y a l’amour: l’amour du pays, l’amour des enfants, l’amour de mon homme. C’est vraiment un pan de notre histoire que je raconte. Je fais partie de ces femmes qui ont dû se battre pour mener leur vie à leur manière, malgré le jugement des autres. J’ai aussi eu le privilège extraordinaire de me retrouver au cœur de l’histoire, à un moment très important de l’histoire du Québec. Et j’ai eu la chance d’être aux côtés de Jacques Parizeau, un visionnaire, un féministe. D’ailleurs, le soir de son élection comme premier ministre, dans l’ascenseur, il m’a dit : « Lisette, tu as fait toute cette campagne-là avec moi, je vais te donner la parole.» Je lui ai dit que c’était lui qui était élu, mais quand on est arrivés sur scène, il m’a donné la parole avant lui. Oui, mon féministe, mais aussi un peu cowboy de mari!
Extraits de ses mémoires
“Épouse, première dame, mais aussi conseillère et partenaire. C’est ça qui est inédit. Mon rôle fait des vagues et fait couler beaucoup d’encre. Des articles, des caricatures… (…) Et que l’épouse d’un premier ministre devienne par la suite députée à l’Assemblée nationale, comme cela a été mon cas treize ans plus tard, est à ce jour inédit.”
«J’aurais tellement voulu l’enlever… le serrer contre moi, mais la civière et mon fils filaient à toute vitesse vers la salle d’opération. On nous a dirigés vers une petite salle et là, je me suis mise à genoux et j’ai prié́, prié. Une nuit sans fin, une nuit d’enfer, d’angoisse, de larmes, de prières, d’attente… »




