Le corps de Guylaine, le mien, le vôtre
Une femme sur dix. C’est le nombre de femmes qui risque d’être atteinte de lipœdème au cours de sa vie. C’est majeur. Et cette maladie génétique méconnue, reliée aux hormones et à la masse graisseuse, ne se guérit pas. Des femmes surtout, donc. J’en ai déjà perdu plusieurs… La plupart ne savent même pas en être atteintes. Il m’arrive de le déceler sur leur corps avant elles-mêmes. Je le remarque maintenant parce que j’en suis atteinte. J’ai reçu mon diagnostic l’été dernier par le très sollicité Dr Michel Dagenais, phlébologue et l’un des rares médecins à s’intéresser à la maladie. Des patientes partent des quatre coins du Québec pour le consulter à sa clinique privée de Sainte-Julie.
C’est au tournant de la quarantaine que la maladie est apparue chez moi, un peu après la naissance de mon second enfant et en même temps que ma satanée périménopause dont je cumule absolument tous les symptômes désagréables et auxquels, donc, se sont ajoutées des douleurs aux jambes ainsi que des sensations de brûlement, des ecchymoses de plus en plus fréquentes. À mon grand désespoir de madame coquette travaillant dans les médias qui a souvent (et encore trop, hélas) misé beaucoup sur son apparence physique, une accumulation de graisse au niveau des fesses, du pelvis et des hanches est aussi apparue. Non, ce n’est pas une maladie qui touche seulement celles qui font de l’embonpoint. J’étais mince. J’ai eu beau me lancer dans la course à pied, le pilates Reformer de manière très intensive, le ski de fond en hiver, le jeûne intermittent, rien n’a changé. Quant à couper dans le vin, batinse, donnez-moi une chance ! Ainsi, cette graisse qui ne répond pas aux régimes, qui ne fond pas, qui fait mal, brûle et gêne, elle détruit aussi peu à peu la confiance en soi. Pour la faire disparaître en partie et de manière non permanente, il faut subir une intervention chirurgicale spécialisée.
En ce moment, je tente de voir comment je vais réhypothéquer mon petit condo montréalais — oui, déjà, je me sais privilégiée — pour aller me faire opérer en Allemagne, en Pologne, en Espagne ou en Autriche et avoir accès à des chirurgiens maîtrisant la technique de liposuccion spécialisée pour le lipœdème. Ça risque de me coûter un peu plus de 30 000 $. Possible aussi que je doive subir une deuxième intervention. Au moment où j’écris ces lignes, il n’y a aucun chirurgien « reconnu » au Québec et au Canada qui pratique ce genre d’opérations. Ce n’est qu’en 2018 que le lipœdème a été accepté comme une maladie à part entière par l’Organisation mondiale de la santé. En 2019, la maladie a été incluse dans la Classification internationale des maladies (CIM-11), un manuel servant de référence mondiale dans l’identification et l’enregistrement des états de santé. Pas au Canada. Je débourse donc, sans aucune déduction possible, plus de 300 $ mensuellement pour recevoir un peu de soulagement grâce à des drainages lymphatiques. Chaque jour, je dois porter des bas de compression spéciaux à enfiler avec des gants spéciaux. Deux paires équivalent à plus de 600 $. De « splendides » bottes de pressothérapie peuvent aussi aider.
Je n’écris pas ce texte pour m’attirer de la pitié. Je sais que cette maladie n’a rien de comparable avec un cancer incurable, par exemple. Aussi handicapante qu’elle puisse l’être, cette affection souvent confondue avec de la cellulite ne tue pas. C’est aussi pour cette raison que je suis même gênée de sortir du placard. Or, mes jambes que j’ai tant exposées jadis, elles, y resteront encore, sauf quelques fois l’été au chalet… J’ai le luxe d’avoir une tribune, autant m’en servir pour aider d’autres femmes et brasser la cage du système de santé québécois qui en prend pour son rhume ces jours-ci. J’ai surtout envie de faire front commun avec mon amie, l’animatrice, humoriste, autrice et conférencière Guylaine Guay, qui fait paraître ces jours-ci Corps gras. Ma quête personnelle pour mieux comprendre le lipœdème (Québec Amérique), un essai entre l’intime et le documentaire qui démystifie la maladie dont elle-même est atteinte. Je l’ai lu d’un trait. Et j’ai pleuré. Pas par tristesse. De soulagement. Pour la première fois, je me voyais quelque part. Pas étonnant. La médecine a une longue tradition de sourde oreille quand il s’agit de la santé féminine. On l’a vu avec l’endométriose, les syndromes prémenstruels, la ménopause, les douleurs pelviennes, etc.
Et soyons honnêtes : si le lipœdème touchait un homme sur dix… On aurait peut-être déjà des cliniques spécialisées, des campagnes d’information, des recherches financées, des traitements couverts. Mais non. On nous renvoie aux régimes et aux conseils de « bienveillance ». Des médecins d’ici prétendent même que le lipœdème n’est que pure invention. Nos jambes portent nos vies, nos histoires, nos batailles.
Elles méritent mieux que la honte.
Elles méritent d’être soignées.
Et nous, d’être crues.




