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Chronique de Jean-François Lisée | Pablo Rodriguez, le bon gars

C’est terrible, les tuiles qui tombent sur Pablo Rodriguez. Cela ne pouvait arriver à un meilleur gars. On le voit bien : il ne ferait pas de mal à une mouche. Mes collègues Isabelle Porter et Marie-Michèle Sioui ont parlé à 20 personnes qui l’ont connu au long de son parcours politique. Tous n’avaient que deux mots à la bouche : « gentil » et « humain ».

On l’a vu, c’est vrai, s’emporter contre le Bloc québécois depuis son pupitre de ministre. Il lui arrive de se fâcher et d’affirmer « moi aussi, je suis Québécois » alors que personne ne le conteste. Mais si on excepte sa défense rituelle de l’unité canadienne, on ne peut dire que Pablo nous enquiquine avec ses idées. Il n’est pas en train de nous convaincre de grand-chose. Sauf que ce serait tellement mieux si on était tous ensemble, unis et heureux, dans le grand Parti libéral. Son ancien chef Michael Ignatieff l’a confié au Devoir : c’est « un homme de terrain plus qu’un homme d’idées ». « Et je ne dis pas ça pour le critiquer, nuance-t-il. Il a beaucoup de charme personnel, de savoir-faire pour attirer les gens. C’est ça, je crois, son grand atout comme homme politique. » C’est certain.

Pourquoi donc, alors que les choses allaient très bien pour lui à Ottawa, comme il l’a expliqué dimanche soir à Tout le monde en parle, a-t-il eu l’idée saugrenue de briguer la direction du Parti libéral du Québec ? Sa réponse : ça va mal au Québec, il y a un déficit de 14 milliards et il faut rebâtir la santé. Hum. Il me semblait aussi que ça allait mal à Ottawa, qu’il y a là des déficits gargantuesques et que le gouvernement auquel il appartenait avait refusé la demande des provinces d’augmenter les transferts en santé. N’aurait-il pas été au moins aussi utile là qu’ici, si telles sont ses motivations ?

Lorsqu’on cherche ce qu’il a accompli pendant ses sept années au gouvernement Trudeau, il explique qu’il fut ministre des Transports, qu’il a tenu tête aux géants du Web et qu’il fut lieutenant pour le Québec. Mais on a beau chercher, on ne trouve pas un seul projet de transport qui porte son nom, un seul grand dossier québécois dont il se serait fait le héraut.

Si on le compare à ses collègues, c’est pire. Mélanie Joly ? On sait qu’elle a conclu un accord (bancal) avec Netflix, et qu’elle s’est battue pour une réelle mise à jour de la Loi sur les langues officielles. François-Philippe Champagne ? Il a la filière batterie étampée sur le front, pour le meilleur ou pour le pire. Jean-Yves Duclos ? Il fut le Séraphin fédéral contre les transferts en santé, a pourfendu le troisième lien et a livré le vieux pont de Québec. Steven Guilbeault ? Il a vainement tenté de faire progresser le Canada sur le chemin de la verdure puis, échouant, reste dans un gouvernement de plus en plus englué dans le pétrole.

Il est tout à fait vrai que Pablo Rodriguez a déposé et fait adopter le projet de loi voulant forcer les GAFAM à partager une infime partie de leurs profits avec les médias traditionnels, ce qui a conduit Facebook à les bannir tout simplement de sa plateforme. Pas exactement un triomphe de politique publique. Heureusement pour Pablo, on associe davantage le dossier à Pascale St-Onge, celle qui a hérité de la tempête.

Bref, là où Pablo Rodriguez passe, il laisse une bonne impression, mais peu d’empreintes. Il peut livrer une marchandise, mais lui serait-il venu l’idée de la commander ? Mieux, de la concevoir ? On sent bien qu’il se cherche un message. Pour l’instant, il utilise ceux qui figurent au catalogue libéral : le parti de l’économie, le parti contre les chicanes, le grand parti de l’histoire du Québec. Ce sont des classiques, mais cela fait un peu réchauffé.

On m’informe que certains libéraux sont déçus de l’absence de profondeur du nouveau chef, cinq mois après son élection. Je tiens ici à les rassurer. Lorsqu’on y pense, Pablo Rodriguez présente peut-être très exactement le profil dont le PLQ a besoin pour la joute électorale qui vient. Les élections d’octobre 2026 ne seront pas un référendum sur les idées de Rodriguez. Ce sera un référendum sur… la tenue d’un référendum.

Et la seule façon d’empêcher le Parti québécois de remporter ces élections — ou d’obtenir un mandat majoritaire — sera de fédérer le sentiment antiréférendaire, actuellement fragmenté entre le PLQ, la Coalition avenir Québec, le Parti conservateur du Québec et, pour la moitié de ses électeurs, Québec solidaire. Pour y arriver, ne faut-il pas à la tête du PLQ la personnalité la plus lisse possible. Celle qui a le moins d’idées, et donc le moins d’idées controversées ?

Le choix sera clair. D’une part, il y aura le gars intense : Paul St-Pierre Plamondon. Le gars qui veut vous embarquer dans un défi exigeant, une grande querelle avec Ottawa et entre nous, puis, en cas de victoire, un grand chantier de construction d’un nouvel État. Une aventure exaltante, mais une aventure. D’autre part, il y aura le bon gars : Pablo Rodriguez. Le gars qui veut vous inviter à son chalet pour un barbecue et une bonne bière, pour un tour de ponton en eau douce. Évidemment, le déclin du français et la marginalisation du Québec se poursuivront, imperturbés. Mais n’est-il pas plus reposant de l’observer étendu sur le hamac que dressé sur la barricade ?

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