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Chronique de Michel David | Marc Miller, l’esthète «tanné

Le nouveau ministre responsable des Langues officielles, Marc Miller, reconnaît que le français est en déclin au Québec « à certains égards », mais il est « tanné » de ce débat qui est « généralement identitaire et électoraliste ».

M. Miller a parfaitement raison sur un point : la langue est en effet fortement liée à l’identité d’un peuple, aussi bien au Québec qu’ailleurs dans le monde. Et partout où elle est menacée, elle fait partie du débat politique et des enjeux électoraux.

On a parfaitement le droit de penser que l’identité nationale n’existe pas. Le grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa y voyait une « fiction idéologique », sans véritable assise historique ou empirique. « Imposer une identité culturelle à un peuple, c’est comme l’emprisonner et refuser à tous ses membres les libertés plus précieuses », disait-il.

On ne saurait mieux traduire la philosophie trudeauiste. En 2015, Justin Trudeau avait déclaré au New York Times : « Il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant au Canada. Il y a des valeurs partagées qui font de nous le premier État postnational. »

N’en déplaise à M. Miller, qui partage sans doute cette vision des choses, la majorité des Québécois sont d’un autre avis en ce qui concerne le Québec. Il existe indéniablement des valeurs communes avec le Canada, auxquelles adhère l’ensemble du monde occidental, mais cela n’exclut pas le sentiment d’une identité bien distincte, qui est renforcé par l’isolement linguistique.

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Il ne fait aucun doute que M. Miller aime sincèrement la langue française, qu’il parle admirablement, mais cela ressemble davantage à l’amour de l’esthète pour les beaux objets, qui ont l’avantage de se laisser admirer sans faire d’histoires. Le problème est que les histoires de langue sont au cœur de son nouveau mandat.

Le déclin du français au Québec a toujours été contesté au sein de la députation anglo-montréalaise du Parti libéral du Canada. La députée de Saint-Laurent, Emmanuella Lambropoulos, avait dû quitter le comité permanent des langues officielles pour l’avoir nié. Son collègue de Mont-Royal, Anthony Housefather, s’était opposé à la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles, craignant plutôt pour les droits des anglophones du Québec.

Sans le nier, M. Miller met des bémols au déclin du français. Au recul de la proportion de ceux dont c’est la langue maternelle, parlée à la maison ou encore au travail, il oppose la hausse du pourcentage de ceux qui sont en mesure de le parler.

Un plus grand usage du français dans l’espace public n’exclut cependant pas la nécessité de maintenir une masse critique suffisante de francophones de souche pour assurer le développement d’une culture française, même si tout le monde reconnaît la richesse de l’apport des diverses communautés.

M. Miller fait valoir qu’il y a eu des progrès depuis l’adoption de la Charte de la langue française (1977). À ce compte, on pourrait répliquer à ceux qui n’ont pas accès à un médecin de famille que la situation s’est améliorée quand même depuis l’instauration du régime d’assurance maladie (1970).

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La réaction du premier ministre Legault aux « conneries » de M. Miller, avec lequel il avait déjà un contentieux, a peut-être été excessive, mais la recrue de Mark Carney n’en a pas moins ruiné d’un coup les efforts du successeur de Justin Trudeau pour dissiper la fâcheuse impression que le Québec et le français ne l’intéressent pas.

Le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a manifestement compris que cela risquait aussi d’apporter de l’eau au moulin souverainiste. Sa réaction aux propos de M. Miller a été bien différente de celle de M. Legault. « Bien, c’est bon, s’il est tanné du déclin du français, il va nous aider à le régler […]. Le Canada, ce n’est pas facile tous les jours, mais on y arrive », a-t-il déclaré.

Paul St-Pierre Plamondon a d’abord réagi avec une modération inhabituelle, constatant simplement que M. Miller est « un gars qui a travaillé très fort contre le Québec dans plusieurs dossiers ». Quelques heures plus tard, son naturel belliqueux a repris le dessus, mais l’objet de sa colère était pour le moins étonnant.

Dénoncer, en disant avoir « honte », la « vacuité intellectuelle », « l’aplaventrisme » et la « déloyauté » d’une « partie substantielle » du milieu culturel québécois, dont les représentants ont salué la nomination de M. Miller, n’est certainement pas la meilleure façon de le rallier à la cause de l’indépendance.

Le chef du Parti québécois devrait prendre acte du fait que le Québec n’est pas encore souverain. Tant qu’ils envoient 40 % de leurs impôts à Ottawa, il ne faut pas s’étonner que les Québécois, y compris les artistes, cherchent à obtenir la part qui leur revient.

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