Taux d’Intérêt: la Banque du Canada se garde des munitions

La Banque du Canada a abaissé son principal taux directeur à 2,25 % le 29 octobre dernier. Dans la foulée, son gouverneur, Tiff Macklem, a soutenu que le cycle de baisses des taux amorcé en juin 2024 était terminé. Cette projection tiendra-t-elle ?
Depuis juin 2024, la Banque du Canada a procédé à neuf réductions consécutives de son taux, ce qui montre bien comment le contexte économique a changé au pays. La lutte contre l’inflation a marqué les années 2022-2024. La banque centrale avait alors haussé son taux jusqu’à 5 %.
Mais l’arrivée au pouvoir du président américain, Donald Trump, a inversé la tendance. Il a imposé de nouveaux tarifs à l’exportation, particulièrement élevés dans certains secteurs, comme l’automobile, l’acier, l’aluminium et le bois d’œuvre. Il a aussi provoqué une incertitude généralisée quant à l’avenir des relations commerciales du Canada avec son voisin, plombant l’économie et le marché de l’emploi. Plutôt que de jouer le rôle de pompier qui s’efforce de stopper la flambée de l’inflation, la banque centrale a dû se remettre à souffler sur les braises de l’économie du pays.
« Les tarifs américains ont fait baisser la demande pour nos exportations tout en générant beaucoup d’incertitude. La Banque du Canada a donc réduit son taux directeur pour stimuler l’économie », explique Dalibor Stevanovic, professeur au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion (ESG-UQAM).
Des tarifs douaniers moins dommageables que prévu
Les récentes déclarations de Tiff Macklem laissent entendre que la situation s’est quelque peu calmée. « Le taux actuel pourrait demeurer stable en 2026, et même durant une portion de 2027 », croit Benoit Durocher, directeur et économiste principal au Mouvement Desjardins.
Selon lui, plusieurs éléments justifieraient cette projection de la banque centrale. Sans rouler à plein régime, l’économie canadienne continue de progresser. Lors de son annonce en octobre dernier, la Banque du Canada prévoyait une croissance de 1,2 % du PIB en 2025, suivie de hausses de 1,1 % en 2026 et de 1,6 % en 2027.
Les entreprises canadiennes l’ont bien compris. En juillet 2025, le taux de conformité à l’ACEUM des exportations canadiennes a atteint le record de 84 %, alors qu’il dépassait à peine 30 % au début de l’année, selon des données de la Financière Banque Nationale. Grâce à cela, les importations canadiennes ont été taxées à environ 3 % pendant ce mois de juillet, contre 4,7 % pour celles venant du Mexique et près de 10 % pour la moyenne des importations d’autres pays.
Emploi et inflation sous surveillance
D’autres données économiques donnent raison à la Banque du Canada, selon Matthieu Arseneau, économiste en chef adjoint à la Banque Nationale. « Il y a eu un rebond significatif de l’emploi en octobre avec un petit recul du taux de chômage, explique-t-il. L’inflation de base, qui exclut des produits dont les prix varient souvent, s’est rapprochée de la cible de la banque centrale. »
Mais il admet du même souffle que cet équilibre est fragile. Le marché de l’emploi, par exemple, reste suspect en raison de l’incertitude qui marque les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.
La proportion de celles qui pourraient laisser aller du personnel a augmenté. Les PME qui envisagent de réduire leurs effectifs (16 %) sont plus nombreuses que celles prévoyant procéder à des embauches (12 %), selon le Baromètre de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes publié en novembre dernier. À 6,9 % en octobre, le taux de chômage restait quant à lui relativement élevé.
Les données sur l’inflation inciteraient, elles aussi, à la prudence. « La baisse de l’inflation stagne et on n’a pas tout à fait atteint la cible de 2 % de la Banque du Canada », fait remarquer Matthieu Arseneau. Certes, l’inflation globale se rapproche du 2 %, mais elle inclut l’abolition de la taxe sur le carbone par le gouvernement fédéral. L’inflation excluant les taxes est plus près de 3 %, comme l’admettait la banque centrale dans son annonce du mois d’octobre.
S’entendre avec le voisin
Pour Matthieu Arseneau, la période d’accalmie prévue par la Banque du Canada est en grande partie conditionnelle à une désescalade de la guerre commerciale avec les États-Unis. La progression du PIB canadien projetée par la banque centrale suppose, selon lui, un règlement des tensions commerciales avec les États-Unis dans les trois prochains mois. « Même si la situation reste la même et n’empire pas, l’absence de visibilité quant à l’accès au marché américain fragilisera l’économie canadienne. La Banque du Canada pourrait donc devoir baisser son taux directeur », affirme-t-il.
De son côté, Benoit Durocher explique que certaines données économiques, comme la consommation par habitant ou les investissements des entreprises, tout comme les dépenses publiques, seront aussi des indicateurs importants des prochaines décisions de la banque centrale.
L’incertitude actuelle devrait par ailleurs amener la Banque du Canada à conserver son habitude de communiquer à l’avance ses intentions, croit Dalibor Stevanovic. Depuis le début de 2022, le taux directeur de la banque centrale est passé de 0,25 % à 5 %, avant de revenir à 2,25 %. Dans un contexte aussi agité, la communication avec le public devient très importante.
« Depuis la crise de 2008, la banque centrale communique beaucoup au sujet de ses taux, et c’est crucial pour rassurer les acteurs économiques et les marchés, souligne le professeur. Cependant, ce sont toujours des projections conditionnelles. Si le contexte change, la Banque du Canada s’ajuste. » Garder les taux à 2,25 % pendant quelques trimestres permettrait donc à la banque centrale de conserver des munitions, qu’elle pourra déployer si le besoin se présente.



