Le bézoard, de Pascale Montpetit | Les maux pour le dire

Publier un premier livre est toujours une expérience singulière, une mise en danger. Je ne m’attendais pas à un texte comme Le bézoard de la part de la comédienne Pascale Montpetit, et j’ai l’impression qu’elle ne s’attendait pas à l’écrire non plus. Ce sont les mystères de la création, et elle s’inquiète de la réception qu’on fera de sa première œuvre lancée dans le monde. Car il y est question d’inceste, de boulimie et de cancer.
Publié hier à 8 h 15
Sauf que tout ça est livré sur un ton étonnamment léger, pour ne pas dire déstabilisant. Comme si de dures révélations étaient embusquées au détour d’une phrase comique ou absurde. « La pire affaire qui pourrait m’arriver c’est qu’on me prenne en pitié, je ne veux pas être une victime, affirme Pascale Montpetit, sans du tout faire sa tough. Ce qui serait génial est qu’on me dise que c’est le fun à lire. »
Ce n’est pas exactement le mot que j’emploierais, mais j’admets avoir ri à quelques endroits entre deux jurons bien sentis, choquée par ce que Pascale Montpetit a dû traverser dans sa vie. C’est une comédienne que j’aime beaucoup, qui me touche dans chacun de ses rôles depuis toujours – récemment, dans la formidable série Empathie –, si bien que j’avais l’impression de l’entendre en la lisant.
Elle est consciente que si elle avait été une parfaite inconnue, on ne l’aurait peut-être pas publiée. « Je ne le saurai jamais », dit-elle, même si Robert Lalonde a jugé ce livre « farouchement sincère et formidablement écrit ». Mais pour une publication confidentielle, c’est raté.
Le bézoard, mot étrange qui réfère à une matière compacte non digérée souvent logée dans l’estomac, est publié dans la très intéressante collection III de Québec Amérique, dirigée par Danielle Laurin. Des auteurs comme Rafaële Germain, Marie-Sissi Labrèche, Simon Boulerice, Claudia Larochelle, Catherine Mavrikakis ou Marc Séguin y ont écrit des textes en respectant un concept qui demande trois récits inspirés de trois moments marquants dans une vie.
Lorsque Pascale Montpetit a accepté l’invitation de Danielle Laurin, elle venait d’entendre à la radio le psychanalyste Bruno Clavier expliquer que les victimes d’inceste développent souvent des problèmes de boulimie et de glande thyroïde. Ce qui correspondait à son expérience : elle a été sévèrement boulimique autrefois et a déjà eu un cancer de la thyroïde. L’auteure en herbe a donc choisi la gorge comme point de départ de son enquête, le « lieu du crime ».
J’ai lu pas mal de romans sur l’inceste – Angot, Sinno, Kouchner –, mais comme Le bézoard, pas vraiment. C’est comme si tout le long, Pascale Montpetit oscillait entre des révélations et leur atténuation. Même si, au départ, il y a cette phrase dans laquelle se reconnaîtront tous les enfants qui ne veulent pas détruire la famille : « si je parle, je suis cuite, si je ne parle pas, je suis cuite ».
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE
Pascale Montpetit
« Ce n’est pas judiciaire du tout, ce n’est pas ça, le sujet, et ça me fait peur que ça aille dans ce sens-là, précise Pascale Montpetit. En lisant la quatrième de couverture, on dirait un peu un titre de journal à potins, il faut que je l’assume un peu, mais ce qui m’a inspirée, c’est ce que le psychanalyste Bruno Clavier a mis ensemble. »
Disons que Pascale Montpetit en connaît long sur la psychologie, ayant passé une bonne partie de sa vie en thérapie. Le problème est que son propre père, celui avec qui elle a eu une relation plus que trouble, était psychiatre. Il s’est suicidé il y a une quarantaine d’années, et ça n’a surpris personne dans la famille, ce qui donne une idée du personnage.
« Il m’a joué dans la tête », reconnaît celle qui a été mutique jusqu’à ses 18 ans, quand elle a décidé de partir faire le tour du monde, dans une sorte de fuite. Comment faire confiance après ça à un psy, n’importe lequel ? « Je pense que c’est pour ça que ça a été si long de passer au travers, parce que dans ma tête, quand un psy me disait quelque chose, je pensais : pourquoi je te croirais ? Mais il y a une psychiatre qui m’a aidée, lorsqu’elle m’a dit : “vous ne seriez pas ce que vous êtes si vous n’aviez rien reçu de vos parents”. Elle, je l’ai crue, je ne sais pas pourquoi. »
Ce père qui a eu un comportement inapproprié avec elle, la vérité est qu’elle l’aimait. Plus que sa mère, avec qui elle était en conflit, et à qui son livre est dédié. Ça se serait passé quand elle était très petite, ça fait longtemps, elle a peu de souvenirs de son enfance, mais il lui a confirmé, et même proposé, quand elle a eu le cancer, de faire l’amour avec lui. Et puis c’était une autre époque (qui a le dos large) où on expérimentait plein de trucs. Et puis, les parents font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont reçu, etc. Le bézoard n’est pas un règlement de comptes, c’est seulement la voix d’une enfant qui veut parler avec ses mots. « L’autre affaire est que j’ai 65 ans et que l’âge, ça compte. J’ai le droit, maintenant que j’ai les cheveux blancs, de dire ce que je pense vraiment. »
Et d’avoir le dernier mot, selon ses termes. « Ça me tentait de l’écrire comme ça. Je mets de la fantaisie, de l’humour noir, je raconte à la hauteur de la petite fille, comment je l’ai vécu, sans explications. Ce n’est pas ma vie du tout. C’est l’histoire du bézoard, que je ne savais même pas que j’avais en moi. »
Le bézoard
Québec Amérique
176 pages




