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Pablo Rodriguez, au cœur de la crise au Parti libéral du Québec

Où était Pablo Rodriguez, le chef du Parti libéral du Québec (PLQ), pendant que la tension montait entre la cheffe parlementaire du parti, Marwah Rizqy, et sa directrice de cabinet, Geneviève Hinse, la fin de semaine dernière ? Comme à son habitude, sur le terrain. « J’étais dans les comtés de Laporte, de Lafontaine », a-t-il énuméré en point de presse mercredi. Il a pris le temps de « faire des courses », une tâche qu’il néglige parce qu’il met beaucoup d’énergie à faire des tournées du Québec.

C’est donc, selon ses dires, parce qu’il était pris par ce travail de terrain — qui a fait sa marque comme politicien — qu’il n’était pas en contact avec Mme Rizqy ce jour-là. Il ignorait dès lors qu’une crise couvait au sein de son parti.

Près des électeurs, loin de son caucus. Là semblent se trouver à la fois une des grandes forces de Pablo Rodriguez et une des causes du tremblement de terre qui secoue le PLQ.

Au cours des dernières semaines, Le Devoir s’est entretenu avec plus de 20 personnes qui ont côtoyé le chef libéral à divers moments de sa vie. Ses adversaires politiques, comme ses alliés, le décrivent comme un « gars cool » et sympathique. Surtout comme un organisateur politique aguerri, excellant à l’art de gagner des élections en soignant ses relations sur le terrain.

« C’est un travaillant », observe le bloquiste Louis Plamondon, qui l’a côtoyé longtemps à la Chambre des communes. « Je lui disais toujours : “T’es plus organisateur que t’es politicien”. »

Mais stimuler la participation des électeurs et diriger un parti sont deux choses bien différentes.

Une décision contestée

Et si la crise actuelle trouvait ses racines dans une décision prise par Pablo Rodriguez au printemps dernier ? Le 19 juin, le chef libéral annonce qu’il confie le rôle clé de cheffe parlementaire à Marwah Rizqy. Lui, de son côté, prendra le pouls des électeurs. « Je veux retourner parler aux Québécois, serrer des mains, échanger des idées », explique-t-il.

Au caucus, la décision est accueillie par certains avec méfiance. Pourquoi nommer, à ce poste si stratégique, une élue qui a déjà annoncé son départ de la politique en 2026 ? Brillante et efficace, Marwah Rizqy est une joueuse étoile dans sa formation, mais son caractère fait aussi des mécontents, qui aimeraient qu’elle leur laisse un peu de lumière.

« Ça n’a jamais été une joueuse d’équipe », font valoir trois élus libéraux sous le couvert de l’anonymat. M. Rodriguez l’a choisie parce qu’il « la voyait aller depuis Ottawa, avec l’aura qu’elle avait de l’extérieur, dans les médias », ajoute une de nos sources. « Il n’a pas choisi la bonne personne pour être cheffe parlementaire. »

Pour garder un œil sur son caucus, le chef nomme une collaboratrice de longue date, Geneviève Hinse, au poste de cheffe de cabinet de Mme Rizqy. Il pense pouvoir garder la main haute sur ce qui se passe à l’Assemblée nationale. L’avenir lui donnera tort.

Un organisateur avant tout

Avant d’être ministre dans le gouvernement de Justin Trudeau, Pablo Rodriguez s’est surtout illustré comme organisateur politique. Il arrive à la Commission-Jeunesse du PLQ au début des années 1990. Il est « déjà très sérieux, style veston-cravate », se souvient Roxane Larouche, qui y siégeait avec lui. Sa principale motivation, c’est l’engagement politique en soi, bien davantage que le parti, une idée ou une cause en particulier.

En parallèle de son engagement politique, M. Rodriguez travaille dans le milieu communautaire. Au Club ⅔ (aujourd’hui fusionné avec Oxfam-Québec), il défend l’unité canadienne dans une mer de souverainistes. Il est le porte-parole des jeunes pour le Oui au référendum sur l’accord de Charlottetown de 1992. Il établit alors ses premiers contacts avec le Parti libéral du Canada (PLC), qui le recrute trois ans plus tard, après l’avoir vu s’activer pour le Non au référendum sur l’indépendance du Québec de 1995. Il est d’abord animateur de foule, puis devient président de l’aile québécoise du parti en 2002.

Chez les libéraux fédéraux, Pablo Rodriguez développe ce qui deviendra sa marque de commerce au fil du temps : des tournées du Québec.

Dans les décennies qui suivent, les aspirants chefs du Parti libéral du Canada (PLC) Paul Martin, Michael Ignatieff et Justin Trudeau le recrutent tour à tour pour qu’il orchestre leurs campagnes. En entrevue depuis Vienne, où il enseigne à l’Université d’Europe centrale, M. Ignatieff décrit M. Rodriguez comme « un homme de terrain plus qu’un homme d’idées ». « Et je ne dis pas ça pour le critiquer, nuance-t-il. Il a beaucoup de charme personnel, de savoir-faire pour attirer les gens. C’est ça, je crois, son grand atout comme homme politique. »

Monsieur « pas de chicane »

Dans les entrevues, les mots « gentil » et « humain » reviennent souvent pour décrire Pablo Rodriguez. « Il est très habile pour esquiver un sujet, mais comme personne, il est très sympathique », affirme Louis Plamondon.

M. Rodriguez axe son discours sur l’unité, la possibilité de rassembler tout le monde. À Ottawa, il s’évertue à prévenir les affrontements publics entre Québec et le fédéral. « Il pouvait être très direct avec nos collègues au Conseil des ministres et au caucus qui n’étaient pas aussi sensibles à la réalité québécoise », relate le ministre du Commerce intérieur, Dominic LeBlanc, son ami et ex-voisin de pupitre à la Chambre des communes. « Il y a eu beaucoup de moments où le caucus — ou certaines personnes, ou le premier ministre — voulait qu’on aille au batte et qu’on plante le gouvernement Legault. Et lui, non. Il allait rencontrer les ministres, il leur parlait », se rappelle un ex-collaborateur dont les fonctions actuelles l’empêchent de se prononcer publiquement.

En bon organisateur, Pablo Rodriguez a sécurisé des appuis chez les apparatchiks du PLQ bien avant de faire le saut dans la course à la chefferie, en 2024. Il s’est aussi assuré qu’il n’aurait pas à faire campagne contre le ministre François-Philippe Champagne, convoité par plusieurs libéraux québécois. « C’était clair qu’on n’irait pas les deux. On est de très grands amis », dit le chef libéral.

M. Rodriguez n’a pas la même chaleur lorsqu’il parle de l’ex-premier ministre Trudeau. « Vous pouvez lui donner tous les défauts que vous voulez sur la Terre, mais il connecte avec les gens. » Il a encore sur le cœur une décision remontant à 2015, quand il n’a pas été nommé au cabinet. « J’étais déçu, blessé », confie le chef du PLQ. Deux ans plus tôt, il avait orchestré la campagne victorieuse de M. Trudeau à la chefferie libérale, et il avait même décaissé ses REER pour la cause. « J’avais quand même joué un rôle important dans la campagne. On était passé de 6 à 40 députés [au Québec] », souligne-t-il.

Le 11 septembre 2024, en marge d’un caucus spécial à Nanaimo, M. Rodriguez réclame une rencontre individuelle avec son chef. Ce dernier l’attend seul dans une pièce vide. « Je comprends très bien pourquoi il y a du monde qui t’approche. Tu as déjà rebâti un parti au complet, tu n’as rien à prouver, c’est à toi de décider si tu veux le faire encore. Mais je ne te bloquerai jamais », lui dit M. Trudeau, selon le récit qu’en fait M. Rodriguez. « Il l’a pas mal pris du tout », assure-t-il. Le Devoir n’a pas pu confirmer ce récit auprès de M. Trudeau.

De crise en crise

Maintenant qu’il est au PLQ, Pablo Rodriguez se trouve sur la ligne de feu à titre de chef d’une formation politique. Moins de 24 heures après avoir exclu Marwah Rizqy de son caucus, il s’est retrouvé dans l’embarras. Le Journal de Montréal a publié mercredi des échanges de textos anonymes qui laissent entendre que des membres du PLQ auraient été payés pour l’appuyer dans la course à la chefferie. Il a servi un avertissement aux journalistes : « Je ne laisserai jamais personne mettre en doute mon intégrité. »

La crise s’est envenimée dans les jours suivants. Le PLQ a mandaté une firme externe pour faire la lumière sur toute l’affaire. Puis vendredi, le parti a annoncé qu’il mettait en demeure Le Journal de Montréal et la députée Sona Lakhoyan Olivier, une autre procédure visant un chroniqueur de Cogeco Média. Pendant ce temps, Geneviève Hinse et Marwah Rizqy se sont échangé des lettres d’avocat, pavant la voie à la poursuite judiciaire de 500 000 $ intentée par Mme Hinse vendredi.

En clair : la tempête risque de durer encore des mois. Mais Pablo Rodriguez en a vu d’autres.

La crise la plus délicate dans son parcours est celle qui frappe le PLC en 2004. Quand il est élu député pour la première fois, le parti baigne en plein scandale des commandites. « C’était un contexte de merde », convient-il aujourd’hui. En plus, comme président de l’aile québécoise du parti, le député doit défendre des positions embarrassantes, comme celle de ne pas rembourser les dons sales reçus par les firmes de publicité exposées lors de la commission Gomery.

Dans la tourmente, l’élu étonne par sa candeur en 2005, lorsqu’il suggère aux Canadiens de voter pour le PLC « en se pinçant le nez ». « C’est sans doute la première fois qu’on entend un dirigeant de parti politique demander aux électeurs de surmonter le dégoût qu’il leur inspire », écrit alors le chroniqueur Michel David dans Le Devoir.

M. Rodriguez accède au saint des saints quand il est nommé whip du PLC en 2017. Responsable de la discipline du caucus, il s’évertue à régler les conflits internes.

Comme ministre du Patrimoine, il ouvre en 2022 un front face aux géants du Web. Il légifère aussi pour forcer les plateformes de diffusion en ligne, comme Netflix, à soutenir la culture québécoise. Ses adversaires conservateurs crient à la « censure ». Ça a été un « combat difficile » et il a « tenu son bout », affirme son ancien collaborateur. « Au Québec, c’est un sujet assez consensuel, mais au Canada anglais, ça a été toute une game. »

Surtout, pas de politique

Au cœur de la tempête mercredi, le chef Rodriguez a répété qu’il n’avait « rien à cacher ». Jusqu’à ce que la crise éclate, les personnes contactées par Le Devoir soulignaient que le plus grand défi, pour M. Rodriguez, était de se bâtir une identité comme chef. « C’est quoi, les deux, trois valeurs à la base de son engagement ? Même moi, je ne peux pas répondre à la question », admettait par exemple en entrevue un ancien ministre libéral.

Aujourd’hui, en plus de travailler sur son programme politique, le chef doit juguler une crise — interne, mais très publique — et rétablir la marque libérale, encore égratignée par des révélations médiatiques.

Né en Argentine, Pablo Rodriguez parle souvent de son défunt père, un politicien et avocat qui défendait la cause d’étudiants et de syndicalistes devenus prisonniers politiques. En raison de son implication politique, Julio Rodriguez s’est retrouvé dans la mire de la junte militaire au pouvoir, qui a fait exploser deux bombes dans la résidence familiale et chassé les Rodriguez de leur pays au milieu des années 1970. De son vivant, son paternel lui a donné un conseil : « De toutes les professions, ne te lance pas en politique. »

La mise en garde a dû occuper ses pensées au cours des derniers jours.

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