Idées | La discussion démocratique

Depuis la visite de Mathieu Bock-Côté (MBC) à Tout le monde en parle, l’émission phare du dimanche à Radio-Canada, je vois et j’entends bon nombre de gens se scandaliser. Pour plusieurs, le diffuseur public n’aurait jamais dû inviter ce « vilain monsieur », ce « grossier personnage », et lui permettre de « déverser son fiel » à heure de grande écoute.
Pour ma part, même si je suis en profond désaccord avec la plupart de ses propos, je crois qu’il est sain — et même nécessaire — qu’ils puissent être entendus à la télévision publique dans une société démocratique et pluraliste.
Je dis ça et, pourtant, je suis aussi éloigné qu’on peut l’être de notre ami MBC. J’ai fait mon parcours éducatif et militant au cégep du Vieux Montréal et à l’UQAM, deux lieux où on apprend très tôt à réfléchir, à débattre, à s’organiser. J’ai milité dans les deux grandes grèves étudiantes de ma génération — 2005 et 2012. D’ailleurs, ironie du sort, MBC utilise régulièrement une photo de moi — poing levé au-dessus de l’UQAM — pour illustrer ce qu’il appelle « la gauche radicale ».
Pourquoi je vous raconte ça ? Pour que vous sachiez où je me situe. Oui, MBC est conservateur. Oui, il est souvent malhonnête intellectuellement. Oui, il n’est pas réellement intéressé par une discussion démocratique sincère. Oui, il utilise des procédés fallacieux pour enrober des idées que je considère comme rétrogrades et nuisibles. Mais — et c’est là le cœur de ce que je veux dire — c’est son droit le plus strict d’exprimer ce qu’il pense. Et c’est le rôle d’un média d’État, dans une démocratie, de tendre le micro aussi à des personnes avec qui nous ne sommes pas d’accord. Pas seulement à celles qui nous confortent.
Comme militant de gauche, je n’oublie jamais que les idées que je défends — liberté des peuples, liberté de pensée, liberté de parole, athéisme, démocratie, socialisme — ont longtemps été, et demeurent dans plusieurs pays, interdites ou réprimées par l’État. Des gens qui pensaient comme moi ont été arrêtés, tabassés, fichés, interdits d’enseignement, mis sous surveillance… simplement pour avoir imaginé qu’un autre monde était possible.
J’ai en tête cette histoire-là. Et c’est justement pour ça que je suis mal à l’aise quand une partie de la société, qu’elle penche à droite ou à gauche, réclame de limiter la parole de ses adversaires. Je préférerai toujours vivre dans une société où un coucou peut dire des âneries et où un conservateur peut dire des grossièretés plutôt que dans une société où un pouvoir — n’importe lequel — décide quelles idées ont le « droit » d’exister.
Parce que, quand on commence à bannir une idée, il devient très facile ensuite d’en bannir une autre.
Je ne vous demande pas d’aimer MBC — moi-même, je n’y arrive pas. Je ne vous demande pas de le prendre au sérieux. Mais je vous demande de réfléchir à ce que ça implique, concrètement, de vouloir qu’il disparaisse de la sphère publique.
Si nos idées sont solides, elles survivront au débat. Si nos arguments sont cohérents, ils tiendront la route. Si nos représentants sont sincères, ils sauront inspirer confiance. On n’a jamais progressé collectivement en fermant la porte. On progresse en débattant. En confrontant les idées. En répondant. En devenant meilleurs.
Et surtout : si on dit qu’on croit en la démocratie, il faut aussi croire en ceux qui la font vivre. Croire à l’intelligence des gens. À leur capacité de réfléchir. À leur capacité de comprendre, de juger, de décider par eux-mêmes.
On ne peut pas, d’un côté, se dire démocrates et, de l’autre, paniquer à l’idée que la population puisse entendre un discours qui nous déplaît. La démocratie, c’est risqué. C’est parfois inconfortable. C’est normal. C’est même le but. Parce qu’au fond, croire en la démocratie, c’est croire au peuple. Pas juste quand il pense comme nous — mais surtout quand il pense autrement.




