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Commémoration de l’attentat de Polytechnique | Se souvenir pour agir

Aux 14 faisceaux illuminant le ciel de Montréal tous les 6 décembre à la mémoire des victimes de l’attentat de Polytechnique, on a eu la bonne idée, l’an dernier, d’en ajouter un 15e.


Publié à
5 h 00

Ce 15e faisceau rose, ajouté à la suggestion de l’ancien chef de police Jacques Duchesneau, est pour toutes les femmes victimes de féminicide ici et ailleurs. Pour les survivantes et pour les proches endeuillés qui ressentent violemment le ressac. Pour toutes les personnes qui travaillent sans relâche pour que les femmes ne meurent plus parce qu’elles sont des femmes.

« Rappelons-nous que c’est la solidarité qui nous permet de garder espoir. Il ne faut jamais renoncer à réfléchir, dénoncer, aider, appuyer, écouter, mais surtout agir. Se souvenir pour agir, encore, toujours », avait déclaré dans un discours poignant, l’année dernière, Catherine Bergeron, présidente du Comité mémoire qui a perdu sa sœur Geneviève dans l’attentat antiféministe du 6 décembre 1989.

Avec le grand ressac que nous vivons en ce moment, cet appel à l’action pour lutter contre la violence faite aux femmes est plus pertinent que jamais.

« Quatorze femmes sont mortes en 1989, mais c’est loin d’être fini », rappelle Catherine Bergeron, qui, encore cette année, compte bien insister sur l’importance de se souvenir pour agir.

« La violence à l’égard des femmes demeure l’une des crises des droits de la personne les plus persistantes et les moins prises en compte au monde, avec très peu de progrès réalisés en deux décennies », souligne un rapport récent de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)1.

Bien sûr, on dira qu’il y a pire endroit que le Québec pour naître fille et c’est tout à fait juste. Mais lorsqu’on y fait le décompte des féminicides et que l’on voit que l’on a encore l’équivalent d’un attentat de Polytechnique (et parfois même plus) chaque année, il n’y a pas de quoi être fier⁠2. Il n’y a aucune consolation à se dire que c’est « moins pire » ici qu’ailleurs.

Lorsqu’on constate qu’une femme sur deux qui tente de fuir un foyer violent se bute à une porte close, faute de financement adéquat des maisons d’hébergement, on se demande : comment peut-on tolérer de protéger les femmes à moitié ?

L’égalité hommes-femmes que le gouvernement dit « non négociable » lorsqu’il est question de voile se négocie-t-elle à moitié prix quand la vie de femmes est menacée ?

De même, lorsqu’on apprend dans une enquête de La Presse que, pour économiser, Québec a discrètement assoupli la surveillance de criminels violents et de nouveaux condamnés et allégé le suivi des hommes qui portent un bracelet antirapprochement, on se demande à quoi riment ces « économies » qui mettent en péril la vie de femmes3.

Combien de faisceaux faudra-t-il encore pour ne plus détourner le regard ?

Quatorze fleurs et un grand absent

Il y aura un grand absent ce samedi à la 36e commémoration de l’attentat du 6 décembre : Louis Courville, directeur général par intérim de Polytechnique au moment du féminicide de masse de 1989, s’est éteint le 2 décembre à l’âge de 91 ans.

M. Courville et sa conjointe Jeanne Dauphinais, qui m’avaient accordé une rare grande entrevue l’an dernier, sont devenus le 6 décembre 1989 les parents bienveillants de toute une communauté en deuil4.

« Cet homme a été un phare pour l’École polytechnique, souligne, la voix brisée par l’émotion, Catherine Bergeron. Un pilier qui m’a touchée par sa présence tout comme il a touché les autres familles des victimes, les proches, les étudiants. »

Pendant 36 ans, M. Courville a toujours voulu garder vivante la mémoire des 14 femmes tuées dans cet attentat. La veille de sa mort, même affaibli, il a assisté à la cérémonie de l’Ordre de la rose blanche durant laquelle on a remis 14 bourses à des étudiantes en génie qui perpétuent les ambitions brisées de 1989.

Il a tenu à aller saluer Nathalie Provost, survivante de l’attentat, qui venait d’être intronisée à titre de première membre du Panthéon de l’Ordre de la rose blanche, une distinction soulignant l’implication d’une femme d’exception dans la cause de la place des femmes en génie5.

PHOTO ANNIE DIOTTE, FOURNIE PAR POLYTECHNIQUE MONTRÉAL

Louis Courville a assisté à la cérémonie de l’Ordre de la rose blanche, le 1er décembre dernier. On le voit ici avec Nathalie Provost, survivante de l’attentat.

En prévision du 6 décembre, comme chaque année, Mme Dauphinais avait commandé un bouquet de 14 fleurs d’un rose très pâle, pas complètement épanouies, à l’image de ces jeunes femmes assassinées sur le seuil de leurs rêves ou d’une carrière en génie. Et comme chaque année, son mari et elle comptaient les déposer ce samedi matin devant la plaque commémorative de l’École polytechnique que l’ex-directeur avait lui-même conçue.

Pour la première fois, elle y sera sans lui. Elle assistera aussi à la cérémonie sur le mont Royal durant laquelle des faisceaux à la mémoire des victimes illumineront le ciel. Sans lui, mais avec lui. Car c’est ce qu’il aurait voulu jusqu’à son dernier souffle.


1. Consultez le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)


2. Lisez l’article « 14e féminicide présumé au Québec : “une Polytechnique encore une fois” »


3. Lisez l’enquête « Réduction de services en sécurité publique : Québec accusé de jouer avec le feu »


4. Lisez le dossier « Quatorze fleurs et un torrent de larmes »


5. Lisez l’hommage à Louis Courville de Polytechnique Montréal

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