Peter Pan»: Luc Guérin et Éléonore Lagacé n’ont rien perdu de leur cœur d’enfant

« Peter Pan, c’est un classique, lance Luc Guérin. On le remonte sans cesse pour la même raison qu’on le fait avec les pièces de Molière et de Shakespeare : pour s’observer, se comprendre, savoir où on est rendus. Mettre en scène cette histoire aujourd’hui, à mon avis, c’est sonder notre capacité à continuer à rêver malgré le temps qui passe. »
Dès les premières minutes de l’entrevue, un peu comme si nous étions sur le plateau de l’émission Zénith, les appartenances générationnelles de chacun s’affichent clairement. Alors que Luc Guérin, sexagénaire, et votre humble serviteur, quinquagénaire, se réfèrent au Peter Pan de Disney, sorti en 1953, Éléonore Lagacé se souvient plutôt du blondinet Jeremy Sumpter dans le film réalisé par P.J. Hogan en… 2003 ! « C’est tout ce que je connaissais de Peter Pan avant de commencer à travailler sur le spectacle », reconnaît la jeune femme dans la vingtaine, qui renoue avec la comédie musicale après avoir été de la distribution de Grease (2015), de Footloose (2017) et de Hair (2023).
« Peter Pan, c’est l’histoire d’un petit garçon qui a été abandonné par sa mère, explique celle qui s’apprête à incarner le mythique personnage. Parti de chez lui pour répondre à une sorte d’appel, il a vécu parmi les fées, de l’autre côté, au Pays de Nulle Part, où il a cessé de grandir. Quand il revient au bercail, tout le monde a vieilli. À travers la fenêtre de son ancienne chambre, il voit qu’un autre enfant a pris sa place. »
Du même souffle, la fille de Natalie Choquette ajoute : « Moi, c’est tout l’inverse ! J’ai reçu énormément d’amour de ma mère. Alors, imaginer qu’un enfant manque d’amour, qu’il est abandonné par ses parents, ça me bouleverse. »
Un véritable mythe
La comédie musicale Peter Pan, créée sur Broadway en 1954, est inspirée d’une pièce et d’un roman de l’Écossais J. M. Barrie, des œuvres à la fois fantaisistes et autobiographiques qui sont parues respectivement en 1904 et en 1911. Plusieurs fois revisitée au cours des 70 dernières années, la comédie musicale de Carolyn Leigh (paroles) et Morris « Moose » Charlap (musique), certainement fabuleuse et truffée de rebondissements, n’est pas dénuée de parts d’ombre.
Comme c’est le cas pour la plupart des contes de fées, le chef-d’œuvre de Barrie a une forte teneur psychanalytique. Rappelons que le syndrome de Peter Pan désigne « l’angoisse liée à l’idée de devenir adulte et de quitter l’enfance » et que le syndrome de Wendy est caractérisé par « un besoin excessif de materner les autres ».
« Il y a de nombreux parallèles à établir entre la vie de l’auteur et les aventures de Peter Pan, précise Luc Guérin. Par exemple, après la mort de son frère David, qui avait 13 ans alors que lui en avait 6, Barrie a tenté de remplacer ce dernier auprès de sa mère inconsolable, entre autres en portant les vêtements de l’enfant disparu. »
Pas étonnant que Peter Pan soit un condensé de troubles liés au passage de l’enfance à l’âge adulte, notamment en ce qui concerne la sexualité et les émotions. Le récit, où l’absence de la mère prend de multiples formes, est une matière inépuisable, complexe et beaucoup moins manichéenne qu’on pourrait le croire.
D’une grande théâtralité
Comédien chevronné, Luc Guérin signe ici sa première mise en scène en solo. « J’ai tout de suite su que ma lecture de l’œuvre concernerait les enfants aussi bien que les adultes, qu’elle serait à cheval entre le roman de Barrie, dans lequel on sent indéniablement l’influence de Shakespeare, et le film de Disney, qui vient avec toute une imagerie, une lumière, une magie dont on aurait tort de se priver. À 65 ans, être invité à orchestrer ce voyage initiatique, c’est une chance inouïe, un rôle que je prends très au sérieux. J’ai bien l’intention d’émouvoir les gens, de leur offrir des tableaux forts, d’une grande théâtralité, qui vont les habiter longtemps. »
On annonce un spectacle d’envergure, avec une vingtaine d’interprètes et six musiciens, une production entièrement francophone qui accordera une place de choix à la vidéo, à la danse et aux vols planés, quelque chose comme un puissant antidote au cynisme.
Alice Déry incarne Wendy, l’aînée des enfants Darling. Benoit Brière campe le Capitaine Crochet (P-A Méthot reprendra le rôle à Québec). Tommy Joubert est Mouche, le fidèle acolyte du Capitaine. Quant à Lily la tigresse, elle s’appelle ici Lily la tornade, et c’est Leticia Jimenez qui la joue. « Notre Lily est débarrassée des stéréotypes racistes dont le personnage a souvent été affublé, tient à préciser Guérin. Elle est d’un peuple fondateur qui défend la terre, qui est pour ainsi dire né d’elle. »
De manière générale, ajoute le metteur en scène, « le spectacle est intemporel, au sens où on n’a pas cherché à évoquer une époque en particulier ».
Quand on avoue qu’on a hâte de découvrir comment seront représentés Nana, la chienne qui prend soin des enfants comme une nourrice, Tic Tac, le crocodile qui a dévoré la main du Capitaine, ou encore la Fée Clochette, qui rechigne à « partager » son Peter, Guérin promet qu’on ne sera pas déçu.
« Mais la vraie vedette du spectacle, clarifie le metteur en scène en terminant, c’est Éléonore ! Cette femme est un bijou, un trésor national. Pour jouer Peter Pan, un rôle qui exige énormément, notamment d’un point de vue vocal et acrobatique, elle était toute désignée. Elle va vous en mettre plein la vue et les oreilles ! »




