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Idées | La laïcité ne juge ni les religions ni les croyants

Monsieur Bouchard, votre texte publié dans Le Devoir des 13 et 14 décembre sur le projet de loi visant le renforcement de la laïcité de l’État appelle à plusieurs mises au point de nature juridique. Les questions que vous soulevez reposent à mon avis sur une confusion persistante entre liberté de religion, neutralité de l’État et rôle du législateur dans une démocratie constitutionnelle.

Vous reprochez d’abord au gouvernement de ne pas appuyer certaines mesures sur des « études probantes ». Or, la laïcité ne relève pas d’une politique publique fondée sur la démonstration d’un préjudice empirique mesurable. Elle constitue un principe normatif structurant de l’État, comparable à la séparation des pouvoirs ou à l’indépendance judiciaire. Sa légitimité ne dépend ni du nombre de cas observés ni de leur gravité apparente.

En droit public, le législateur n’a pas à attendre l’apparition de désordres sociaux avérés pour agir. La prévention est une fonction reconnue de l’action législative, particulièrement lorsqu’il s’agit de préserver la neutralité institutionnelle et la liberté de conscience. La laïcité vise précisément à éviter que les appartenances religieuses deviennent des marqueurs d’autorité ou de segmentation au sein des institutions publiques.

Votre texte suggère également que ces mesures reposeraient sur une suspicion à l’égard de l’islam. Cette lecture ne résiste pas à l’analyse juridique. La laïcité s’applique de manière générale et abstraite, sans distinction de croyance. Elle ne juge ni les religions ni les croyants ; elle encadre exclusivement l’expression de l’État et de ses représentants dans l’exercice de leurs fonctions.

Vous invitez par ailleurs l’État à mieux « connaître le terrain » religieux avant de légiférer. Or, un État laïque n’a ni à sonder l’humeur ni à évaluer les intentions d’une minorité religieuse. Le droit repose sur des règles impersonnelles et également applicables à tous, non sur l’analyse sociologique des croyants. Exiger une telle démarche serait contraire au principe même de neutralité.

Vous invoquez enfin l’absence historique de conflits religieux au Québec pour prôner la retenue. On peut au contraire soutenir que cette relative paix sociale découle de l’existence progressive de balises laïques claires. En droit, la stabilité sociale est favorisée par des normes prévisibles et cohérentes ; l’ambiguïté normative est souvent plus génératrice de tensions que leur encadrement explicite.

S’agissant de la liberté de religion, rappelons qu’aucun droit fondamental n’est absolu. En droit constitutionnel, cette liberté peut faire l’objet de limites raisonnables lorsqu’elles poursuivent des objectifs légitimes tels que la neutralité de l’État, l’égalité réelle et la protection de la liberté de conscience d’autrui. Confondre liberté de croire et droit inconditionnel à l’expression religieuse dans toutes les fonctions institutionnelles est une erreur juridique.

En définitive, la laïcité n’est ni une politique de peur ni une phobie du religieux. Elle constitue une technique juridique de gouvernance démocratique visant à garantir la neutralité de l’État, l’égalité devant la loi et la liberté de conscience dans une société pluraliste. À ce titre, le renforcement du cadre laïque relève d’un choix législatif légitime et cohérent avec les principes de l’État de droit.

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