Intervention de l’État | Hydro-Québec, oui, La Caisse, non

J’ai toujours pensé que l’État avait un rôle à jouer dans l’économie. Que l’État devait intervenir, parfois, pour appuyer les entreprises ou développer de nouveaux marchés.
Publié à 11 h 23
Surtout si les gouvernements concurrents le font. Et il faut en convenir, la situation critique avec les États-Unis de Trump exige que nos gouvernements s’activent, intelligemment.
J’ai toujours cru au rôle prudent de l’État, mais je n’ai jamais eu la conviction profonde de François Legault, qui se dit « résolument interventionniste ». Surtout pas celle de recourir assez directement à la Caisse de dépôt pour intervenir, avec des suivis mensuels auprès de la haute direction, comme il nous l’a dit en entrevue.
Si le privé ne veut pas prendre de risques pour un projet, pourquoi La Caisse le ferait-elle avec les fonds des cotisants, fonds qui ne sont pas des deniers publics, rappelons-le ? J’y reviens plus loin.
En revanche, je partage l’avis du premier ministre sur le grand atout que détient le Québec avec la société d’État Hydro-Québec. Et sur la possibilité qui s’offre aux Québécois, dans le contexte économique rude qui nous attend, de développer notre énergie verte.
« On est béni des dieux. C’est un avantage compétitif énorme d’avoir Hydro-Québec », a-t-il dit.
Il a bien raison. La transition énergétique et la décarbonation sont moins à la mode qu’il y a deux ans, mais il s’agit d’une tendance à long terme, qui requerra beaucoup d’énergie.
Hydro a le grand avantage d’avoir des réservoirs d’eau qui agissent comme une batterie, permettant le développement d’une filière éolienne sans crainte des aléas du vent1.
Grâce à cet atout, les Québécois peuvent bénéficier pleinement des faibles prix de l’éolien, d’environ 6 cents le kilowattheure. En comparaison, le meilleur tarif des projets hydroélectriques avoisine les 10 cents le kilowattheure (La Romaine) et ceux du nucléaire, les 16 cents le kilowattheure, a dit le premier ministre.
Selon les analyses d’Hydro fournies au premier ministre, le développement énergétique procurera 35 000 emplois par année au Québec d’ici 2035, en moyenne.
Un autre boom d’emplois viendra de la disponibilité accrue d’énergie pour les entreprises qui désirent investir, notamment dans le secteur manufacturier et les centres de données.
Pour 2026, la société d’État aura besoin de 23 500 travailleurs sur les chantiers, soit près de 7000 de plus qu’en 2025. « Dans le contexte de ce qu’on vit – et ce sont des jobs payantes –, c’est énorme. On est chanceux d’avoir ça. L’Ontario n’a pas l’équivalent », fait valoir le premier ministre.
Il voit peu de risques à développer la filière énergétique. « Le risque d’investir massivement dans Hydro-Québec – 200 milliards – est relativement faible. Je ne vois pas beaucoup de scénarios où, dans les 10-20-30 prochaines années, il n’y aura pas une demande croissante d’énergie », a-t-il dit.
Ce développement massif, prévient le premier ministre, sera accompagné de nouvelles pratiques.
« Est-ce qu’un BAPE peut se faire en six mois au lieu de deux ans ? Est-ce qu’on peut donner des autorisations plus rapides ? Pour certains projets d’Hydro, c’est la sixième fois que l’Environnement pose une série de questions. À un moment donné, il faut que ça finisse. Oui, ça peut vouloir dire prendre plus de risques, mais notre objectif n’est pas de vouloir réduire les standards. »
Affrontements à prévoir avec les environnementalistes et certaines communautés touchées.
Churchill Falls
Et qu’en est-il de l’entente avec Terre-Neuve-et-Labrador, que le nouveau premier ministre, Tony Wakeham, veut renégocier ?
François Legault n’est pas inquiet. L’entente permet au gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador d’empocher rapidement 300 millions par année venant du Québec, dit-il. Or, au prorata de la population, cette somme est l’équivalent de 4,8 milliards par année dans le budget du Québec, calcule-t-il.
« C’est énorme pour balancer leur prochain budget de 2026. Je comprends que Tony veut être capable de dire qu’il a amélioré le deal. Je lui ai parlé au téléphone et je lui ai dit : “Moi aussi, je veux l’améliorer. J’aimerais te donner moins d’argent dans les premières années. Ça m’affecte, ces versements de 300 millions.” »
Les deux gouvernements n’ont pas recommencé à négocier, indique M. Legault. « On va attendre qu’il revienne [Tony Wakeham]. S’il veut qu’on augmente un petit peu le prix après 2041, moi, je vais lui demander de diminuer le prix avant 2041, et on s’arrangera pour que ce soit donnant-donnant. Mais moi, je trouve que c’est un deal équitable pour les deux parties. Je reste confiant. »
La double mission de La Caisse
François Legault ne fait pas de cachette, comme je le disais plus haut : la Caisse de dépôt fait clairement partie de son plan.
Le premier ministre a dit être en discussion avec le PDG de La Caisse, Charles Emond, et le président du conseil de La Caisse, Jean St-Gelais, pour leur fixer un nouvel objectif d’investissement au Québec2.
« Avec ce qui se passe aux États-Unis, on a besoin de cet argent-là pour investir dans des projets au Québec », a dit M. Legault, selon qui les caisses de retraite canadiennes devraient faire de même (l’ex-ministre Chrystia Freeland tenait un discours semblable).
Pour se justifier, il rappelle que La Caisse a une double mission, soit de faire fructifier l’épargne des Québécois tout en développant l’économie du Québec.
Fort bien. Sauf que la Caisse de dépôt a déjà une proportion très élevée investie dans l’économie locale. Son actif au Québec représentait 19,8 % de son actif total au 31 décembre 2024, comparativement à 10,5 % chez Investissements RPC (l’équivalent au Canada de Retraite Québec, dont les placements sont gérés par La Caisse).
François Legault fait valoir que la proportion des investissements de La Caisse au Québec était 5 ou 6 points de pourcentage de plus il y a quelques années, ce qui est bien le cas, et donc qu’il y a de la marge.
Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il est normal que cette part recule avec le temps, car les investissements de La Caisse hors Québec grossissent plus vite qu’ici, notamment parce qu’ils sont investis dans des pays émergents en forte croissance ou dans des pays surprenants, comme les États-Unis, où la Bourse a explosé.
Bref, en contraignant La Caisse à investir encore davantage au Québec, François Legault réduira la diversité du portefeuille de l’institution et son potentiel de gain à long terme, ou, autrement dit, nos actifs de retraite.
En entrevue, le premier ministre a même laissé entendre qu’il voyait La Caisse investir dans le secteur minier des minéraux critiques. Or, le secteur minier est cyclique et risqué et connaît de fortes variations de valeur.
Certes, le contexte protectionniste nous pousse à investir davantage localement. Mais La Caisse a les ressources à l’interne pour remplir cette mission adéquatement sans pression indue du premier ministre.
J’invite donc François Legault à agir prudemment, et les dirigeants de La Caisse à investir avec parcimonie. Sans quoi, La Caisse deviendra un outil politique, ce dont personne ne bénéficiera.
1. Quand le vent est fort, Hydro peut laisser s’accumuler l’eau dans ses réservoirs hydroélectriques et quand il est faible, Hydro peut recourir davantage à son hydroélectricité avec ses réservoirs.
2. La Caisse est sur le point d’atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé il y a quelques années, soit d’avoir 100 milliards d’actifs dans des entreprises au Québec d’ici 2026.




