Trends-CA

Des commerces québécois résistent à la frénésie du Vendredi fou

En pleine période du Vendredi fou, impossible d’échapper aux promotions alléchantes qui envahissent les vitrines, nos réseaux sociaux ou notre boîte courriel. À contre-courant, certains commerces québécois résistent toutefois à cette frénésie, refusant de brader leur travail et d’encourager la surconsommation.

« Il ne faut jamais oublier comme consommateur que si on paye moins cher, c’est que quelqu’un d’autre au bout de la chaîne en paye le prix. Ça dévalorise notre travail de faire autant de rabais pour le Vendredi fou alors que nos marges sont déjà basses », explique Anne-Marie Laflamme, cofondatrice de la boutique de vêtements montréalaise Atelier B.

Elle et sa collègue Catherine Métivier ont toujours refusé d’embarquer dans cette course aux soldes venue des États-Unis. En signe de désaccord, elles ont même déjà fermé leur boutique en ligne durant le Vendredi fou par le passé. Depuis 2019, elles ont trouvé une autre solution : chaque Vendredi fou, elles organisent un atelier gratuit de réparation de vêtements pour promouvoir la durabilité plutôt que la surconsommation.

« Le Vendredi fou, c’est la démesure. C’est une stratégie marketing qui ne respecte ni les créateurs ni l’environnement. C’est contre nos valeurs », renchérit Coralyne Bienvenu, chargée de communications pour la boutique Belle et Rebelle, sur la Plaza Saint-Hubert. L’entreprise refuse systématiquement de proposer des rabais durant le Vendredi fou, estimant par ailleurs que ce serait un « gros manque de respect » envers les quelque 150 créateurs avec qui elle collabore.

Au profit des grandes entreprises

Toutes critiquent cette fête commerciale qui, selon elles, profite surtout aux grandes entreprises et aux géants du commerce en ligne comme Amazon, Shein ou Temu.

Myriam Belzile-Maguire, cofondatrice des magasins de chaussures Maguire, dénonce aussi l’hypocrisie de cette grand-messe des soldes. Celle qui a longtemps travaillé pour de grandes entreprises avant de lancer sa marque décrit une mécanique bien huilée. « Les soldes sont planifiés des mois d’avance. Certains produits sont commandés en plus grosse quantité pour prétendre à un solde et les prix sont gonflés juste avant la période du Vendredi fou. C’est presque impossible de faire de vrais rabais dans l’industrie, c’est une stratégie pensée dès la conception du produit. »

Marie-Lou Boucher — fondatrice de la marque Marilou Design à Québec — constate à regret que beaucoup de consommateurs sont désormais habitués et attendent le Vendredi fou pour acheter. Selon un récent sondage du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), 53 % des Québécois prévoient de faire des achats lors du Vendredi fou ou du Cyberlundi cette année.

Entre la concurrence des gros acteurs et les attentes des consommateurs, nombre de commerces d’ici cèdent sous la pression dans l’espoir de tirer leur épingle du jeu.

« C’est injuste : ils n’ont ni les volumes, ni les marges, ni la visibilité des grosses entreprises américaines. Et une fois que tu commences à participer, tu ne peux plus faire marche arrière : tes clients refusent de payer le plein prix », soutient Marilou Boucher, qui se fait un devoir moral de boycotter le Vendredi fou.

Entre survie et convictions

Pour Damien Silès, président-directeur général du CQCD, la majorité des commerces québécois qui proposent des rabais le font surtout par nécessité. « Les achats de fin d’année représentent de 30 à 40 % du chiffre d’affaires. Si on n’offre pas de rabais, les clients iront voir ailleurs », avance-t-il.

« Si le Black Friday était en avril, ce serait facile de dire non. Mais en novembre, ça détermine si je vais pouvoir passer l’année, payer mes employés, maintenir l’entreprise à flot. Chaque jour compte pour un petit commerce comme nous, on doit se battre pour faire notre place et survivre », témoigne Annie Martel, propriétaire des magasins Terre à soi, qui a longtemps résisté à la tentation.

Coincée entre ses convictions et la survie de son entreprise, Annie Martel a imaginé une approche qui lui permet de rester fidèle à ses valeurs tout en attirant des clients. « Pour profiter de réductions, les clients doivent apporter des denrées destinées à des paniers de Noël. S’ils contribuent, ils peuvent tourner une roue chanceuse et gagner un rabais de 5 à 25 % », explique la propriétaire.

Myriam Belzile-Maguire dit comprendre ceux qui cèdent : « Je ne les blâme pas. Si c’était une question de survie, moi aussi je pourrais être tentée. » Elle se dit chanceuse d’avoir une clientèle fidèle, prête à acheter même sans rabais. « Le trafic augmente le jour du Black Friday : les gens espèrent une promotion surprise et finissent par payer le plein prix pareil. »

À l’inverse, Marilou Design et Belle et Rebelle ont conscience qu’elles perdent des ventes en ne participant pas au Vendredi fou. Les ventes vont toutefois bon train le reste du temps des Fêtes, ce qui leur permet de camper sur leurs positions. « Résister, c’est aussi éduquer les consommateurs au prix juste. Oui, nos produits coûtent plus cher, mais il y a beaucoup de travail derrière pour proposer de la qualité. Il faut que les gens le comprennent », affirme Coralyne Bienvenu.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button