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Les progrès économiques depuis 30 ans et l’indépendance

Le Québec a réalisé des progrès en matière socioéconomiques et de finances publiques depuis le référendum de 1995. Quant à l’effet qu’aurait eu une éventuelle victoire du mouvement indépendantiste, il y a des raisons de croire qu’on n’aurait pas moins bien fait. Peut-être mieux, même.

Pour le 30e anniversaire du second référendum sur la souveraineté du Québec, la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a eu l’idée de faire le point sur l’évolution d’une série d’indicateurs de performance sur le front de l’économie, du partage de la richesse et de l’état des finances publiques. Dans un article de la revue Options politiques de l’Institut de recherche en politiques publiques, dont Le Devoir publie une version abrégée, deux chercheurs de la chaire, Luc Godbout et Suzie St-Cerny, brossent le portrait d’un Québec qui s’en est plutôt bientôt bien tiré.

Alors que sa population vieillissait et que son poids démographique au sein du Canada diminuait (de 24,6 % en 1995 à 21,9 % en 2024), la croissance économique par habitant du Québec a été plus forte durant toutes ces années que dans le reste du pays (42 % contre 34 %) avec, pour résultat, une diminution du retard de richesse sur l’Ontario (de 16 % à 10 %).

Ce progrès s’est entre autres observé du côté de l’emploi. Autrefois inférieure, la proportion de la population occupant un emploi au Québec a aujourd’hui dépassé celle de l’ensemble canadien à la faveur notamment de l’explosion du taux d’emploi des femmes de 25 à 54 ans avec des enfants d’âge préscolaire (de 58,6 % à 81,2 %) favorisée par des services de garde à prix réduit et des congés parentaux plus généreux.

Longtemps plus élevé qu’ailleurs au Canada, le taux de chômage au Québec a dégringolé de 11,5 % en 1995 (contre 9,6 % au Canada) à 5,4 % en 2024, c’est-à-dire en dessous de la moyenne canadienne (6,5 %). La proportion de la population de moins de 65 ans prestataire d’aide sociale a suivi la même trajectoire, passant de 11,8 % au Québec et 10,1 % au Canada en 1997-1998 à 4,8 % au Québec et 5,8 % au Canada en 2023-2024. Déjà un peu plus performant que le reste du Canada, le Québec a également vu son niveau d’inégalité de revenus après impôt légèrement diminuer, alors qu’il a légèrement augmenté au Canada.

Assainissement des finances publiques

Mais le vieillissement de la population et des programmes sociaux plus généreux coûtent cher. Le poids de la fiscalité de l’ensemble des niveaux de gouvernement au Québec est ainsi passé de l’équivalent de 37,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 1995 à 39,7 % en 2023, soit moins que des pays comme la Suède (41,4 %) ou la France (43,8 %), mais plus que la moyenne canadienne (34,9 %), l’Allemagne (38,1 %), le Royaume-Uni (35,3 %), les États-Unis (25,2 %) et la moyenne des économies avancées (35,9 %).

Le Québec a néanmoins adopté des règles en matière d’équilibre budgétaire et de réduction de l’endettement qui lui ont permis de réduire le poids relatif de la dette nette de l’ensemble de ses gouvernements. Encore entre 60 % et 67 % de son PIB en 2001 selon la façon de compter, cette dette se situait entre 53 % et 57 % en 2023. C’était supérieur à la moyenne canadienne (14 %) ou des économies avancées (45 %), mais bien inférieur à la dette du Royaume-Uni (92 %), des États-Unis (94 %) ou de la France (102 %).

Le budget de l’an 1

La question des finances publiques est souvent la première évoquée lorsqu’il est question des conséquences et de la viabilité économique d’une éventuelle indépendance du Québec.

Il y a deux ans, Paul St-Pierre Plamondon et le Parti québécois (PQ) s’étaient prêtés à l’exercice d’imaginer un « budget de l’an 1 ». On y concluait que l’indépendance du Québec se ferait « essentiellement à coût nul » dès la première année. La récupération, à terme, de 82 milliards de dollars de recettes fiscales à Ottawa et l’élimination de chevauchements entre les deux gouvernements devaient permettre non seulement le maintien des services, « mais plus encore ».

Un an plus tard, un groupe d’économistes, dont certains associés à la mouvance du Parti libéral, avait estimé que le document péquiste reposait sur des « fondements irréalistes ». Selon eux, l’indépendance vaudrait au gouvernement du Québec 50 milliards de dettes fédérales de plus qu’estimées et se traduirait par « d’importantes compressions de dépenses ».

Sur le front économique, le PQ parlait, tout au plus, d’une « accélération modeste de la croissance » économique. Ses critiques évoquaient, au contraire, « une période d’incertitude et de ralentissement économiques » comme lors de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Il ne s’agit pas de savoir si le Québec serait viable, mais de savoir si la séparation permettrait aux Québécois de mieux vivre », disait-on.

L’avantage des petites nations

Il est logique de penser que plus un pays est grand, plus il a des chances d’être prospère, notait l’an dernier le politologue de l’Université de Montréal Alain Noël dans une étude publiée dans la revue scientifique Recherches sociographiques. Et pourtant, plusieurs des pays qui affichent la plus grande richesse par habitant sont relativement petits.

Ne disposant pas de l’autonomie ni de l’influence des plus grandes puissances, ces petites nations ont appris à se spécialiser et à s’adapter à l’évolution et aux aléas de l’économie mondiale. Présentant une plus grande homogénéité culturelle et d’intérêt que les plus grands pays, elles peuvent compter sur des acteurs gouvernementaux, économiques et sociaux plus à même de convenir de la meilleure façon de procéder aux rajustements nécessaires.

Qui plus est, ces petites économies ouvertes sur le monde, dynamiques et productives sont souvent des modèles en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités, constatait l’expert qui se référait notamment aux pays d’Europe du Nord, comme le Danemark, la Suède et la Finlande.

L’avenir

Les progrès socioéconomiques du Québec depuis 30 ans rapportés par la Chaire de l’Université de Sherbrooke montrent qu’il a disposé d’assez de marge de manœuvre au sein de la fédération canadienne pour tracer une voie qui lui a permis de se démarquer des autres provinces. Ils ne disent rien de ce qu’il aurait pu accomplir s’il avait été un État indépendant.

L’étude du professeur Noël ne se penchait pas sur le cas particulier du Québec. Elle supposait seulement que le fait de se réorganiser autour d’une économie plus petite ne s’y traduirait pas, à terme, nécessairement par un appauvrissement économique ou un accroissement des inégalités. Au contraire, même.

Est-ce que la réélection de Donald Trump et la montée du nationalisme économique viendront plomber les perspectives des petits pays ouverts sur le commerce, ou cela ne les amènera qu’à s’adapter encore une fois ?

Les Québécois ne manqueront de problèmes à régler ni de causes derrière lesquelles se rallier, rappellent Luc Godbout et Suzie St-Cerny. D’abord, parce que plusieurs vieux dossiers sont encore loin d’être réglés, comme le choc démographique. Aussi, parce que d’autres questions se sont invitées ou se font de plus en plus pressantes, comme le logement, l’itinérance et l’environnement. À cet égard, le Québec se distingue encore une fois du reste du Canada, notamment en choisissant de se doter et de garder une Bourse du carbone. Du moins jusqu’à présent.

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